Un Oscar, ça change pas le monde. Mais ça fait tourner la tête. Parlez-en à Juan Jose Campanella, qui vient de recevoir la statuette du meilleur long métrage étranger pour El Secreto de sus Ojos (Dans ses yeux). Le cinéaste argentin avait rêvé toute sa vie de ce moment. Mais rien ne s'est passé comme prévu. Quand Pedro Almodovar a prononcé le titre du film depuis la scène, il a eu l'impression d'être frappé par une voiture.

«Je pensais faire un discours brillant, lance le cinéaste, joint par téléphone à Buenos Aires. Mais dès que j'ai entendu mon nom, j'ai eu l'impression qu'on tirait la chasse d'eau de mon estomac et qu'on remplaçait mon sang par de l'adrénaline. Je n'avais rien préparé. Et c'est devenu très difficile de m'exprimer en anglais. Tout ce que je voyais, c'était les secondes qui s'écoulaient au compteur!»

Campanella n'en était pourtant pas à ses premiers honneurs. Certains de ses films précédents ont été récompensés (Le fils de la mariée). Mais cette fois, c'était différent.

«On dira ce qu'on voudra, mais tous les prix de tous les festivals dans le monde réunis n'arrivent pas à la cheville d'un Oscar», résume le cinéaste.

De fait, les retombées n'ont pas tardé à se faire sentir. Le film a déjà été vendu dans plus de 40 pays et s'apprête à connaître une intéressante carrière internationale. Quant au réalisateur, il est devenu une véritable coqueluche chez lui. On le reconnaît désormais dans la rue. «Mes autres films ont connu beaucoup de succès en Argentine, mais on ne m'avait jamais vraiment vu sur une couverture de magazine!» lance Campanella, qui semble s'amuser de son nouveau statut.

Étrange objet

Adaptation d'un roman de l'Argentin Eduardo Sacheri, El secreto de sus ojos est un étrange objet, qui se situe quelque part entre le polar, le drame psychologique et la comédie sentimentale. À la lecture du livre, Campanella avoue avoir été séduit par cet improbable mélange de genres et d'ambiances. «Ce que j'aimais avec le roman, c'était ce côté très film noir, mais avec des personnages qui sont des gens de la vie de tous les jours. Je trouvais que cela créait un choc intéressant entre deux mondes.»

L'histoire? Une femme est sauvagement assassinée en 1974. Vingt-cinq ans plus tard, le procureur qui était chargé de l'affaire (Ricardo Darin) revit par flashbacks les épisodes de ce crime pas tout à fait résolu, et dont le meurtrier court toujours. Ce retour en arrière sera l'occasion de renouer avec son ancienne patronne (Soledad Villamil), une autre histoire non résolue...

Campanella ne s'est pas longtemps questionné sur le choix des acteurs, qui avaient déjà croisé le fer dans son film El mismo amor, la misma lluvia en 1999. Ex-vedette de telenovelas en Argentine, recyclé depuis quelques années en acteur mûr et crédible, Ricardo Darin était tout particulièrement indiqué pour une histoire aussi particulière. «Notre entente est naturelle. Il comprend comment j'écris et je peux amener ses personnages dans des zones très sombres sans que cela compromette notre complicité», explique le cinéaste.

Carrière américaine

Campanella, qui fait depuis 20 ans la navette entre Buenos Aires et New York, gagne principalement sa vie comme réalisateur de séries télé aux États-Unis. Il a notamment tourné de nombreux épisodes de Dr House et Law and Order. «Oui, j'imagine qu'on peut dire que ma carrière au cinéma est principalement sud-américaine, alors que ma carrière en télé est essentiellement américaine», résume-t-il.

Le cinéaste ne voit pas d'incompatibilité entre les deux. À ses yeux, la télé est surtout le domaine des scénaristes, alors que le cinéma reste celui des réalisateurs. À chacun son défi. Et si le septième art a longtemps eu la réputation d'être le plus noble des deux médiums, il croit que l'avenir appartient au petit écran. «Restera-t-il même des salles de cinéma dans l'avenir?» se questionne-t-il.

Ce qui ne l'empêche pas de naviguer de l'un à l'autre. Entre deux séries télé, Campanella travaille actuellement sur un film d'animation argentino-espagnol, qui aura pour sujet le soccer de table, ou si vous préférez, le baby foot. «Le dessin animé est une excellent façon de raconter des histoires. Et c'est un sujet qui s'y prête bien. Mais ne me parlez surtout pas de vrai football. Je sais que l'Argentine sera à la Coupe du Monde cet été, mais c'est à peu près tout. Pour être honnête, je n'ai jamais été vraiment bon dans les sports. J'étais toujours celui dont personne ne voulait...»

À noter qu'El secreto de sus ojos est le second film argentin à remporter un Oscar, après L'Histoire officielle de Luis Puenza, en 1985.

El secreto de sus ojos (Dans ses yeux) prend l'affiche le 14 mai.