Il aurait fallu aller à Ham-Nord, se promener parmi les poules, les chevaux et la pouliche née en pleine nuit au printemps dernier, visiter le loft dans la trappe à foin puis monter dans un 4x4 et rouler jusqu'au bout des 500 acres de terre que Robin Aubert possède avec son père et ses oncles. Ou alors il aurait fallu rencontrer Robin Aubert quelque part à Montréal et marcher la ville jusqu'à la fin de l'entrevue.

Le portrait qui aurait émergé de ces promenades et pérégrinations qui font partie des habitudes de Robin Aubert aurait sans doute été plus proche de la vérité. Encore qu'il y a chez cet artiste une telle sincérité qu'elle n'a pas besoin d'un lieu précis ni d'un contexte particulier pour s'exprimer. C'est pourquoi à Ham-Nord, où il écrit et vit à temps partiel, ou dans un café du Vieux-Montréal, c'est finalement le même créateur sensible et brutalement honnête que j'ai rencontré.

On commence tout juste à découvrir Robin Aubert. Par on, je parle surtout des médias, premiers transmetteurs de perceptions et d'images de marque. Le grand public, lui, ne sait pas ou ne sait plus qui est Robin Aubert. Il a oublié qu'il a voté pour lui en 1998 à la fin de la Course destination monde. Il ne se souvient pas que Robin Aubert tenait le rôle principal du petit caïd en prison dans la magnifique série Temps dur ou qu'il jouait l'alter ego du cinéaste André Forcier dans le film La comtesse de Bâton Rouge.

Le public a oublié et les médias un peu aussi, mais tout cela est peut-être sur le point de changer grâce à un film. À l'origine d'un cri n'est pas que le troisième long métrage de Robin Aubert, c'est aussi le cri du coeur d'un artiste difficile à caser. Robin Aubert est-il un acteur? Un réalisateur? Un aventurier? Un électron libre et mêlé?

À force de ne pas savoir où caser Robin Aubert, on avait fini par ne pas le prendre au sérieux et surtout par ne plus trop s'en préoccuper. «Et, bien franchement, ça ne me dérangeait pas, dit-il, parce que, pendant tout ce temps, je cherchais, j'apprenais des affaires, j'expérimentais, je voyageais, je lisais, je visitais des musées. Sur le site officiel de mon film, j'ai un blogue où j'ai écrit une lettre aux étudiants en cinéma en leur rappelant l'importance de faire toutes ces choses pour enrichir leur vie, leur imaginaire et leurs films. Je leur dis aussi de n'en faire qu'à leur tête, ce qui, au bout du compte, est peut-être le conseil le plus important.»

Un écorché vif

N'en faire qu'à sa tête est non seulement l'adage de Robin Aubert, c'est aussi un principe qui le suit depuis sa tendre enfance à Ham-Nord où il est né en mai 1972. Troisième enfant d'une première union entre sa mère et Jacques Aubert, homme d'affaires de la région, il se souvient des sacs de petits bonshommes qu'il accumulait dans sa chambre. «Enfant, je pouvais passer des journées entières dans ma chambre à faire des mises en scène avec mes petits bonshommes. Mes parents me laissaient faire sans jamais me juger ni trouver que je n'étais pas normal. C'était leur façon d'encourager ma créativité», raconte-t-il.

À l'adolescence, quand le futur comédien annonce à son père qu'il s'en va étudier en théâtre à Sainte-Thérèse, l'homme d'affaires ne tente pas de le dissuader. Au contraire.

Pourtant, de son propre aveu, Robin Aubert était, à l'adolescence, un écorché vif, un révolté perpétuellement enragé contre le monde entier. «D'ailleurs, si j'ai fait À l'origine d'un cri, ajoute-t-il, c'était pour savoir pourquoi je suis toujours en tabarnac contre tout. Je sais pas si j'ai trouvé la réponse. Je sais seulement que je suis pas mal plus calme qu'avant.»

Coup de poing

Film coup de poing et cri du coeur, À l'origine d'un cri réunit trois hommes de trois générations: le fils (Patrick Hivon), le père (Michel Barrette) et le grand-père (Jean Lapointe), qui se retrouvent dans des circonstances pour le moins atténuantes à l'occasion du décès de la deuxième femme du père.

Habituellement, les cinéastes qui s'inspirent de leur propre histoire rechignent à le dire et s'arrangent pour tellement transposer les faits qu'ils sont souvent les seuls à connaître la part de vérité qu'ils ont mise en scène. Robin Aubert, lui, ne fait pas tant de cachotteries. Le grand-père de l'histoire possède une carrière de gravier comme son propre grand-père. Le père du cinéaste a perdu sa deuxième femme comme le personnage du film. Les tantes de Robin Aubert sont au nombre de sept comme dans le film et portent les mêmes prénoms que ses vraies tantes. La photo dans la chambre de Jean Lapointe est la photo de la vraie grand-mère du cinéaste. Et le poème que Patrick Hivon lit à la mort de son grand-père est le poème que Robin Aubert a écrit et lu aux funérailles du sien.

Devant tant de coïncidences qui n'en sont pas, difficile de ne pas penser à la scène déchirante du début du film qui évoque à la fois avec pudeur et brutalité l'agression sexuelle d'un enfant. La scène est trop juste et trop puissante pour avoir été écrite par quelqu'un qui ne sait pas d'expérience de quoi il parle. La question est délicate. La plupart des journalistes n'ont pas voulu s'y risquer. J'ai choisi de l'aborder par le biais le plus étonnant du film: le refus de la victimisation, parti pris qui fait de cette agression un très mauvais souvenir, mais un souvenir parmi tant d'autres. Rien de plus ou de moins.

«La dernière chose que j'avais envie de faire, c'est un film uniquement sur ça, un film dénonciateur et «victimisateur». Moi, dans toute cette affaire-là, je ne me suis jamais senti victime. Je me suis senti impuissant, mais jamais victime, ni le produit d'une enfance brisée et malheureuse. J'ai eu une belle enfance au sein d'une famille tout croche mais aimante. En écrivant ce film, j'ai voulu prendre un moment noir de ma vie pour en faire quelque chose de lumineux. J'ai aussi essayé de créer un monde éclaté, qui semble réaliste mais qui présente un point de vue altéré sur la vie. Je trouve que ma génération a perdu cette faculté-là. On fait des films de plus en plus maîtrisés qui cherchent à être une copie conforme de la réalité. Moi, ce qui m'intéresse, c'est de pousser les choses de l'autre côté de la réalité.»

À son retour du Festival des films de Toronto, Robin Aubert est retourné à Ham-Nord présenter le film à sa famille. Et malgré l'âpreté du propos, les siens ont été touchés, se sont reconnus et l'ont applaudi.

Et puis, lundi soir dernier, tout de suite après la première du film à Montréal, l'aventurier a sauté dans sa bagnole et a conduit jusqu'à Mont-Joli. Le lendemain, il s'est envolé avec son père pour aller chasser le chevreuil à Anticosti. Robin Aubert ignore à quoi ressemblera son prochain film. Il sait seulement qu'il n'est plus en colère contre le monde entier et surtout qu'il n'a plus besoin de crier pour exister.