Le Festival international du film black de Montréal offrira son prix Hommage ce soir au grand réalisateur malien Souleymane Cissé, en plus de projeter son oeuvre Yeelen (La Lumière, en langue bambara) qui lui a valu le Prix spécial du jury du Festival de Cannes en 1987 et qu'il était venu défendre l'année suivante au Festival des films du monde de Montréal. Entrevue avec une mémoire vivante du cinéma africain.

«C'est une invitation qui ne se refuse pas», dit, en toute modestie, le réalisateur malien, à qui l'écrivain Dany Laferrière remettra le prix ce soir, au cinéma Impérial. Le FIFBM souligne ainsi plus de 40 ans d'engagement à l'endroit de son art et de son peuple.

La pellicule est une vocation pour l'homme, qui a vu sa vie défiler devant lui la première fois qu'il a posé les yeux sur un grand écran. «De 5 à 18 ans, j'étais fou de cinéma, j'étais connu comme le «cinéphile». Je ne manquais aucun film présenté à Bamako. C'était d'abord une curiosité d'enfant, mais surtout, une envie de m'échapper et de voir le monde.» À l'époque, rappelle-t-il, «on voyait le cinéma américain, les westerns et tout ça, et des films égyptiens, parfois des films indiens. Très peu de cinéma européen».

Il organisait aussi des projections: «Avant les films, on projetait des bobines d'actualités. Un jour, j'ai projeté une bobine qui avait été filmée au Congo. C'était le premier film tourné en Afrique que je voyais - même pas un film de fiction. C'était un film sur l'arrestation de Patrice Lumumba [héros de l'indépendance du Congo]. On savait que ça n'allait pas au Congo, mais les images montraient Lumumba, les mains attachées dans le dos, plaqué contre une voiture... Ç'a été un choc émotionnel incroyable. Ça m'a révolté au fond de moi, l'injustice m'insupporte. À partir de ce jour-là, je suis devenu cinéaste.»

Ce pilier du cinéma africain compte une trentaine de longs métrages, engagés à leur manière, quelque part inspirés de l'oeuvre de l'écrivain et réalisateur sénégalais Ousmane Sembène, que Cissé qualifie de «père du cinéma africain» et à qui il consacrera un documentaire. À travers l'incroyable parcours de Cissé, c'est la naissance d'un véritable cinéma africain qui l'a mené dans les grands événements cinématographiques de la planète grâce à l'exceptionnel Yeelen.

À elle seule, la vie de Souleymane Cissé pourrait faire l'objet d'un film. Le mot amuse le réalisateur, qui ne se prive pas pour rappeler ses études de cinéma... à Moscou, dans les années 70.

«On ne peut échapper à notre histoire, raconte-t-il. Le Mali, auparavant appelé le Soudan français, était sous occupation française. L'indépendance s'est faite avec un gouvernement socialiste, et l'Union soviétique est entrée dans notre histoire à ce moment-là. L'Union soviétique offrait des bourses pour aller étudier, et c'est ainsi que j'ai eu la chance d'avoir cette bourse pour aller apprendre à utiliser une caméra.»

Sitôt revenu au Mali, Souleymane Cissé a érigé son oeuvre qu'il qualifie d'abord et avant tout d'humaniste. «Il faut qu'un film tende à l'universalité; je ne fais pas des films pour les Africains, je fais des films pour tous les cinéphiles. Pour Ousmane Sembène, le cinéma était une nécessité pour faire passer son message. Il devait tourner, coûte que coûte. Mon cinéma est différent: pour moi, c'est la création d'abord. Pour essayer de changer l'image qu'on peut avoir du peuple africain. C'est pour moi, un devoir sacré.»

À 71 ans, Souleymane Cissé n'a pas tout dit. Le réalisateur, scénariste et président de l'Union des créateurs et entrepreneurs du cinéma et de l'audiovisuel de l'Afrique de l'Ouest a lancé en 2009 Min Yé, oeuvre traitant de la polygamie dans son pays. Il pense déjà à son prochain long métrage de fiction et termine un documentaire sur la vie et l'oeuvre d'Ousmane Sembène.