Près de 10 ans après avoir partagé l’écran avec Cécile de France dans En équilibre, de Denis Dercourt, le cinéaste français Albert Dupontel dirige l’actrice belge et lui donne la réplique dans Second tour, fable politique sur fond d’élection présidentielle.

C’est en découvrant la minisérie documentaire Bobby Kennedy for President (2018), de Dawn Porter, qu’Albert Dupontel a eu l’idée d’écrire Second tour. Fasciné par la sincérité du discours improvisé par le politicien à l’annonce de l’assassinat de Martin Luther King et par le fait qu’il avait affirmé à Romain Gary qu’il savait qu’il serait, à l’instar de son frère John, assassiné, le cinéaste a ainsi créé Pierre-Henry Mercier, nouveau venu en politique issu d’une riche famille d’industriels.

Personnage marquant

« J’étais en admiration devant ce personnage, confie Albert Dupontel, rencontré aux Rendez-vous d’Unifrance à Paris. Je reconnaissais enfin une valeur forte chez un personnage politique relativement contemporain. Je m’étais juste dit “imaginons s’il n’avait pas dit ce qu’il voulait faire”, puis demandé “pourquoi il ne l’a pas dit ?”. Il y avait là une histoire tragique, alors j’ai voulu inventer une histoire avec un passé très hugolien, comme dans L’homme qui rit. Mercier, qui était le nom de résistant de Jean Moulin, a compris les codes dans lesquels il vit, donc il ferme sa gueule et se laisse montrer comme un personnage ultralibéral, ce qu’il n’est pas du tout. »

Ayant incarné le président de la République dans Président (2005), de Lionel Delplanque, Albert Dupontel incarne cette fois le candidat favori dans une campagne présidentielle trop lisse au goût des médias. « À l’époque, j’étais beaucoup trop jeune pour le rôle, explique l’acteur de 60 ans. Rien du tout ne m’intéresse dans la fonction de président, je n’ai même jamais voté. Ce qui m’intéressait, c’était de créer une histoire rocambolesque et de trouver des subterfuges hautement improbables pour arriver à mettre au pouvoir un personnage naïf, sincère et, je pense, totalement nécessaire pour l’époque, comme celui de Peter Sellers dans Bienvenue, Mister Chance, d’Hal Ashby. »

À défaut d’un adversaire redoutable, Pierre-Henry Mercier devra affronter Mademoiselle Pove (pour « point of view ») qu’interprète Cécile de France. Recalée à la couverture du football, où elle travaille avec le caméraman Gus, joué par Nicolas Marié, acteur fétiche d’Albert Dupontel, cette journaliste allergique à la langue de bois se fera un plaisir de cuisiner le candidat lorsque, faute d’effectifs, elle sera affectée à la couverture de la campagne présidentielle.

PHOTO FOURNIE PAR AZ FILMS

Nicolas Marié et Cécile de France dans une scène de Second tour

« On s’est amusés tous ensemble à créer le look à la Working Girl du personnage, raconte l’actrice. J’aimais bien l’univers des années 1980 qu’on retrouve dans le film d’Albert. On n’est pas dans le naturalisme, donc on pouvait s’autoriser à dessiner un personnage de BD. »

Pour se mettre dans la peau de Mademoiselle Pove, Cécile de France révèle s’être inspirée d’Allison Janney, qui incarnait C. J. dans la série The West Wing (1999-2006), d’Emma Thompson, « de manière générale », et d’Halldóra Geirharðsdóttir, « incroyable » dans Une femme en guerre (2018), de Benedikt Erlingsson.

Il fallait que je me pose, que je trouve une sorte de tranquillité. Il fallait aussi trouver dans ma voix quelque chose de moins populaire, de plus formaté, de plus éduqué. Il fallait aussi que j’efface ma candeur. Il y avait réellement de vraies choses à trouver pour arriver à ce personnage.

Cécile de France, actrice

« Avec Albert, on s’est beaucoup amusés en opposé avec l’énergie du personnage de Nicolas. Avec Gus, il ne fallait pas me laisser entraîner par l’énergie du clown rouge, je devais rester le clown blanc, sobre, minéral, froid. Et ça, c’était un vrai exercice parce que de manière générale, j’étais tentée d’être emportée par l’énergie de Nicolas. »

Humour irrésistible

À la décharge de Cécile de France, les dialogues, écrits au scalpel par Albert Dupontel, qu’elle échange avec son hilarant partenaire sont d’un humour tout simplement irrésistible. « En voyant Second tour, j’ai retrouvé des trucs que j’avais dans Les poupées russes, de Cédric Klapisch, se souvient l’actrice. Ça m’a fait plaisir de retrouver cet amusement qu’on a quand on a une partition comique à jouer. Tous ces gros mots qu’Albert me fait dire, c’est tellement jouissif, jubilatoire et savoureux. Quand elle est avec Gus, c’est merveilleux, c’est un vrai duo de clowns. Au cinéma, c’est rare, ce genre de duo. »

« Ils s’entendaient très bien tous les deux, confirme le réalisateur. Le seul reproche que je leur faisais, c’est qu’ils rigolaient trop. Je leur demandais de me laisser me concentrer. Comme on répétait beaucoup, on retravaillait les textes, mais sur le plateau, on allait assez vite. Je me rappelle qu’au tournage, Cécile s’amusait plus qu’en répétition. Elle était étonnée de voir l’évolution de son personnage lorsqu’on répétait ; pour elle, tourner, c’était comme une récompense. Elle s’est vraiment prêtée au jeu avec beaucoup de gentillesse et de rigueur. »

Au fil de leur enquête, Mademoiselle Pove et Gus découvriront un grand secret sur Pierre-Henry Mercier que lui-même ignorait : « Je cherchais un twist pour surprendre, encore une fois. L’idée est partie de L’homme au masque de fer, d’Alexandre Dumas, où le héros découvre ses origines. C’était intéressant parce qu’on pouvait montrer la différence entre ce qui est acquis et ce qui est inné. »

Derrière tous ses surprenants coups de théâtre, ses péripéties trépidantes et ses joutes oratoires inspirées, Second tour pose une question fondamentale : peut-on être authentique en politique ? « Clemenceau et de Gaulle, qui ont certes fait des conneries, l’ont été. Aujourd’hui, ce qui nous manque dans notre culture, c’est un récit. Il y a un récit à inventer, mais ce n’est pas les banquiers au pouvoir en France ni chez vous, où l’on fracture l’Alberta comme des frappadingues avec le pétrole, qui vont l’écrire. Il faut proposer une histoire aux gens. On ne peut pas que résonner avec l’indice de croissance du PIB, c’est trop abstrait. On n’a jamais eu autant d’inégalités et d’écarts entre les riches et les pauvres. Plus qu’il y a 50 ans. Moi, ça me fait peur. Ce petit film était un petit commentaire, assez naïf, assez maladroit, par rapport à ça », dit Albert Dupontel.

En salle ce vendredi

Les frais de voyage ont été payés par Unifrance.