C’est en tournant Il y a un ciel magnifique et tu filmes Angèle Bertrand, son premier court métrage autoproduit, que Justine Harbonnier fait connaissance avec Caiti Lord, qui s’y impose en tant que personnage secondaire. Présenté en première mondiale au MoMA de New York en 2014, le film plaît au public, visiblement touché par la jeune femme qui n’est pourtant pas au cœur du récit.
« Les spectateurs venaient la voir après la projection même si elle n’apparaissait pas tant que ça dans le film, et ça m’a beaucoup touchée et marquée », raconte la réalisatrice. Une belle amitié perdure entre les deux femmes, malgré une certaine distance. Et quelques années plus tard, Donald Trump est élu à la présidence des États-Unis.
J’ai énormément pensé à Caiti. Je me demandais comment elle allait, comment elle le prenait [l’élection de Donald Trump]. J’ai appris qu’elle avait déménagé dans une petite ville du Nouveau-Mexique et j’ai écouté mon intuition d’y aller pour prendre de ses nouvelles.
Justine Harbonnier, réalisatrice
Une genèse qui donne le ton. Caiti Blues, c’est un décryptage politique déguisé en poème. C’est la plainte pleine d’espoir de toute une génération en quête de sens. À Madrid, ville américaine « bâtie sur des valeurs antisystèmes », les réactions sont mitigées, selon Caiti Lord, qui y travaille dans un bar aux allures de cabaret et qui y fait de la radio communautaire hebdomadairement. Certains sont affairés devant l’élection du nouveau président, tandis que d’autres avaient arrêté de croire au système depuis longtemps, de toute façon.
Il restera toujours la musique
Scindé en chapitres correspondant à des paroles de chansons écrites par Caiti, le documentaire s’intéresse à la passion de celle-ci pour la musique et à son besoin viscéral de chanter. Ancienne étoile montante de la comédie musicale, elle a vu ses rêves être freinés par la dure transition vers la vie d’adulte.
J’avais totalement abandonné, je n’allais plus jamais faire de musique. Mais quand j’ai déménagé à Madrid, mon élan créatif et mon envie de performer se sont ranimés.
Caiti Lord
L’omniprésence de la communauté queer, la vitalité de la scène artistique et le fort sentiment de pouvoir être soi-même ont poussé Caiti à s’impliquer généreusement dans sa ville. C’est sans doute une des clés qui ont permis à Justine Harbonnier de filmer de si près la pléiade de personnages colorés apparaissant dans le long métrage.
En trame de fond, les paysages désertiques et les ambiances westerns du Nouveau-Mexique, qui semblent parfois être l’œuvre de peintres tant ils captivent. Des images qui illustrent parfaitement les thèmes de la précarité du quotidien et du sentiment étouffant d’arriver à 30 ans et de ne pas percevoir d’avenir viable.
« Beaucoup de gens qui ont vu le film m’ont dit qu’il leur avait permis de se sentir moins seuls et qu’ils s’étaient reconnus dans les enjeux auxquels fait face notre génération dans le monde d’aujourd’hui, indique Caiti. Ce qu’on doit retenir, c’est qu’il y a de l’espoir dans le fait de s’accrocher aux trucs qu’on aime. Si les choses partent en vrille, il vous reste votre art. »
Justine Harbonnier regarde sa protagoniste avec admiration. Elle n’aurait pas su mieux décrire son film. « C’est tellement bien dit. Le monde est à chier, mais il nous reste ça. Le film, je l’ai pensé comme la trajectoire d’une mélancolie qui se transforme. »
En salle
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Caiti Blues
Justine Harbonnier
Avec Caiti Lord
1 h 24