Ce qu'inspire Nelly Arcan - l'écrivaine, le personnage, la vraie personne qu'on ne fait qu'imaginer - prend de plus en plus d'importance depuis son suicide en 2009. On peut parler de la construction d'un mythe qui, au Québec, a une résonance certaine avec d'autres figures tragiques, comme celles d'Émile Nelligan ou d'Hubert Aquin.

Une biographie classique, en bonne et due forme, reste à faire, et peut-être est-elle impossible, puisqu'elle a tant révélé de ses questionnements et de ses réflexions dans son oeuvre. Écrire «par-dessus» Nelly Arcan, comment faire?

Avec son Nelly, Anne Émond (Nuit #1, Les êtres chers) ne tombe pas dans le piège du biopic ordinaire qui apporterait des réponses banales à sa triste fin. Mais la réalisatrice s'inscrit dans l'éclatement qui caractérise l'approche qu'on a devant Nelly Arcan.

Impossible de ne pas penser à la puissante pièce de théâtre La fureur de ce que je pense de Marie Brassard et Sophie Cadieux présentée à Espace Go en 2015, où, là aussi, Nelly Arcan était déclinée en multiples personnages. Dans la pièce, elles étaient sept; dans le film, elles sont quatre, cinq, si l'on inclut les apparitions de la petite fille (Mylia Corbeil-Gauvreau), qui souffre atrocement d'être éclipsée par plus belle qu'elle.

Mais on se concentre surtout sur la putain, l'amoureuse, la star et l'écrivaine, toutes incarnées par une Mylène Mackay qui donne tout ce qu'elle a, dans les moindres plans du film. Ce qui est un exploit, compte tenu du fait que ces quatre personnages ne sentent pas qu'elles sont là, dans leurs vies. Un fil conducteur les relie, c'est ce sentiment de ne pas exister, derrière ces figures de fantasmes, et une douleur qui plombe absolument tout. 

Disons-le, on sort de ce film complètement écrasé par une mélancolie extrêmement bien rendue par la réalisation, le jeu de l'actrice et la trame sonore lancinante signée par les Dear Criminals.

Nelly, c'est le regard très personnel d'Anne Émond sur Nelly Arcan, et sur les femmes en général, sur ce qui les aliène: obsession de la beauté et du regard des autres, dépendance affective, jalousie et rivalité, besoin maladif de correspondre à une perfection impossible... Tout est un enfermement dans ce film claustrophobe, empreint d'une immense solitude - on ne sort pas de la chambre d'hôtel, des appartements sombres, du regard froid des clients, de l'amoureux, des journalistes et des caméras. Arcan, ici, est un carcan étouffant. On sait que ça finira mal, mais on «sent» aussi que ça ne peut se terminer autrement.

Inégal, mais fascinant

La principale faiblesse de Nelly est qu'on a l'impression que la réalisatrice elle-même se perd, comme l'héroïne de son film, partagée entre la biographie, l'essai et l'hommage à l'oeuvre, appuyant beaucoup sur la prostitution quand, paradoxalement, le personnage de l'écrivaine elle-même avoue qu'on ne s'intéresse qu'à son premier livre (Putain).

Les deux personnages les plus développés sont certainement ceux de la putain et de l'amoureuse, celui de la star traversant le film comme une comète éblouissante, mais un peu anecdotique, et celui de l'écrivaine étant la moins bien servie - ce qui est vraiment courant dans les films sur les écrivains, qu'on a toujours eu de la difficulté à dépeindre au cinéma. Encore plus ceux qui, comme Nelly Arcan, ont énormément joué de leur image.

Ce qui reste, au final, est un film très particulier, inégal, mais fascinant, qui nous happe et nous piège, et qui nous fait approcher d'une réelle souffrance. Une souffrance spécifiquement féminine, profondément explorée dans l'oeuvre de Nelly Arcan, que les créatrices comme Anne Émond mettent en lumière.

* * * 1/2

Nelly. Drame d'Anne Émond. Avec Mylène Mackay, Mylia Corbeil-Gauvreau et Mickaël Gouin. 1h41.

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Image fournie par Les Films Séville

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