Dans ce premier long métrage, Yan England nous entraîne au coeur du milieu scolaire sans démagogie ni didactisme. Il plonge le spectateur dans un monde auquel n'ont pratiquement pas accès les adultes qui entourent les élèves, fussent-ils parents dévoués, pédagogues accomplis ou spécialistes en tous genres. Là réside sans contredit la force de ce film coup-de-poing.

Cinquante ans après Volker Schlöndorff, qui avait aussi exploré le phénomène de la cruauté entre élèves dans Les désarrois de l'élève Törless (dans un contexte bien différent, bien sûr), le cinéaste relate le parcours d'un adolescent, souffre-douleur d'un groupe depuis maintenant quelques années.

Dès la toute première scène, la dynamique entre les jeunes d'une grande école secondaire est installée de façon subtile et efficace. Au son de la chanson Superbia, très belle pièce du groupe indie pop montréalais Caveboy, des centaines d'élèves se rendent en classe. Des groupes se forment, s'amusent, chahutent un peu, visiblement heureux de se retrouver.

Tim (Antoine Olivier Pilon) préfère rester à l'écart, les écouteurs bien vissés dans ses oreilles. Il ne cherche pas du tout à entrer en relation avec les autres. Son visage s'éclairera quand même un peu quand arrivera Francis (Robert Naylor), le seul avec qui il entretient des liens d'amitié. Et qui, lui aussi, est victime d'intimidation. C'est d'ailleurs à la suite d'un épisode dramatique que Tim, qui est bon coureur, décide d'orchestrer sa vengeance.

Le jeune homme s'inscrit ainsi dans l'épreuve du 800 m afin de rivaliser avec Jeff (Lou-Pascal Tremblay), champion de la discipline. Ce dernier s'adonne aussi à être le leader du petit groupe qui rend la vie impossible à Francis et à Tim en les intimidant. Le titre du film est le chrono que doit atteindre Tim pour battre son rival.

Des accents de vérité

England aurait pu flatter l'auditoire dans le sens du poil et construire un récit à la Rocky, mais il a su complètement éviter ce piège . En filmant cette histoire dans un véritable environnement, 1:54 emprunte ainsi de beaux accents de vérité. Contrairement à certaines productions «pédagogiques» à travers lesquelles on tente de faire passer des «messages», rien, ici, ne semble factice. À cet égard, la distribution d'ensemble est impeccable.

Antoine Olivier Pilon, qui a obtenu un prix d'interprétation au Festival du film francophone d'Angoulême grâce à ce rôle, offre quant à lui une performance remarquable.

L'acteur sait parfaitement rendre de façon crédible, sans effets, la terreur intérieure qui habite un personnage pour qui l'idée même d'avoir, peut-être, des tendances homosexuelles reste insupportable. Dans un monde où la moindre différence peut encore prêter le flanc à l'intimidation, encore plus à l'ère des réseaux sociaux, que voilà une triste constatation.

On pourra bien sûr regretter parfois de petits flottements dans le récit, un dernier acte un peu too much, ou que le personnage qu'incarne Sophie Nélisse semble un peu moins bien dessiné que les autres.

Il n'empêche que Yan England propose ici un film percutant, souvent émouvant. Et qui, une fois le coup de théâtre final passé (et le silence absolu qui accompagne le générique de fin), suscitera assurément la discussion. C'est bien tant mieux.

* * * 1/2

1:54. Drame de Yan England. Avec Antoine Olivier Pilon, Lou-Pascal Tremblay, Sophie Nélisse, Robert Naylor. 1h36.

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Image fournie par Les Films Séville