L'adaptation cinématographique d'un roman paru en 1959 nécessite-t-elle d'être actualisée? Des pages au grand écran, l'histoire doit-elle absolument prendre un coup de jeune? Pas forcément. Surtout lorsque le sujet traité est intemporel.

Et pourtant, c'est le pari qu'a voulu relever Karin Hussain (Subconscious Cruelty) en adaptant au cinéma le premier roman de Marie-Claire Blais. Avec une proposition décalée, le réalisateur a fait de La belle bête un conte cruel qui nage à la fois dans les eaux troubles de la réalité et du rêve, en intégrant le présent dans le passé.

Pour ce faire, Hussain a d'abord enfermé, à double tour, dans une grande maison de campagne, ses trois protagonistes et les a filmés en gros plan pour accentuer leur isolement et alourdir l'ambiance. Il y a la mère vaniteuse (Carole Laure), belle à défaut d'être conciliante et altruiste. Un fils magnifique (Marc-André Grondin), légèrement déconnecté mentalement, traité à la fois comme une poupée de porcelaine, un objet de collection et un amant par maman. Mais il y a surtout une fille (Caroline Dhavernas) traitée en pichou et écrasée par les remarques blessantes de la même mère.

Avare en dialogues, tous bien calculés (de Marie-Claire Blais, qui signe le scénario du film) et livré de façon distante, La belle bête nous plonge rapidement dans le quotidien irréel du trio. L'admiration de l'une se mêle vite à la jalousie de l'autre. On ne perd pas de temps à livrer à la puissance 10 ce que chacun ressent pour faire comprendre aux spectateurs que la situation, insoutenable, dure depuis un bon moment déjà.

On est en présence d'êtres fondamentalement blessés, qui préfèrent le geste à la parole. Qui rugissent intérieurement, en attendant le coup de grâce, dans un monde singulier. Loin de nous, voire irréel.

Alors qu'on croit subir une oeuvre du passé, des éléments contemporains viennent ponctuer de façon anachronique le scénario. Du coup, le malheur de l'héroïne humiliée nous semble tout à fait improbable. Le fait d'être isolé à ce point du reste du monde également.

Le huis clos ici n'est pas dicté par des codes cinématographiques, mais par l'histoire comme telle, dépassée, avec des personnages maniérés, vêtus comme à une autre époque et qui ont évacué tout élément de modernité du foyer.

Karim Hussain a davantage cherché à installer un climat lugubre dans La belle bête qu'à expliquer pourquoi la mère tient à tenir à l'écart ses enfants. Les conséquences de cet enfermement, qui incitera à une violence inouïe, sont davantage exposées.

Hussain (ancien programmateur et organisateur du festival Fantasia) a su toutefois doser la violence, même si elle est crue et brute, à défaut d'avoir proposé un récit qui coule bien. Il semble, par ailleurs, avoir investi beaucoup de temps à l'apparence de ces personnages. Cela dit, si la transformation physique en fille «laide» de Caroline Dhavernas prend beaucoup de place à l'écran, l'actrice réussit quand même à transmettre la rage de son personnage. Marc-André Grondin et Carole Laure sont davantage poseurs dans un film au drame qui nous atteint difficilement.

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* * 1/2
LA BELLE BÊTE. Drame de Karim Hussain. Avec Carole Laure, Caroline Dhavernas, Marc-André Grondin et David La Haye. 110 minutes.

Une fille que sa mère trouve laide fomente une vengeance envers son frère à la beauté sublime.

Étrange actualisation d'une histoire d'une autre époque.