Tôt ou tard, un cinéaste ne peut résister à l'envie de nous parler de son art. C'est un peu ce que fait Nanni Moretti à travers Il Caimano (Le caïman est le titre français), un film qui porte essentiellement sur le cinéma, de la même manière que Fellini l'avait fait avec 81/2 ou Truffaut avec La nuit américaine.

Il Caimano se révèle ainsi plus riche que le simple pamphlet anti-Berlusconi annoncé. Il s'agit en effet d'un beau film d'amour et de cinéma (et aussi d'amour du cinéma) dans lequel la politique ne sert finalement que de toile de fond. En abordant directement des problématiques qu'on pourrait croire intrinsèquement « italo-italiennes» au premier coup d'oeil, Moretti ratisse en effet beaucoup plus large. Et atteint l'universel.

À travers les déboires d'un producteur de films de série Z qui tente de mettre sur pied le projet d'une jeune réalisatrice intitulé Le caïman, le cinéaste orchestre sa réflexion de façon très habile. Le monde du cinéma, et celui du monde culturel en général, figure bien entendu au coeur de ses préoccupations.

Le cinéaste apostrophe ainsi des problématiques graves sur l'irrésistible ton de la «comédie à l'italienne», qu'il maîtrise évidemment avec beaucoup de finesse. Comme dans La chambre du fils, il sait aussi se faire émouvant en évoquant la vie intime du protagoniste. Bruno (excellent Silvio Orlando), qui a toujours pris un réel plaisir à produire des films de genre, traverse en effet une période de crise sur le plan affectif, laquelle est racontée avec de beaux accents de vérité.

Aussi est-ce un peu par accident que ce producteur en faillite, dont la vie familiale bat de l'aile, accepte de collaborer avec une jeune créatrice qui, un jour, lui a apporté un scénario dont il a mis du temps à comprendre de quoi il s'agissait. Le caïman est en effet une biographie grinçante de Silvio Berlusconi, l'ancien président du conseil italien, celui pour qui Bruno avait même accordé son vote aux dernières élections

Sans tomber dans le piège de la démonstration manichéenne, Moretti s'appuie sur la véritable passion qu'éprouve le protagoniste envers le cinéma pour s'intéresser à toutes les étapes du projet, du financement jusqu'au tournage. Il évoque aussi l'état des lieux de la société italienne après le passage d'un homme dont l'influence fut marquante à plus d'un titre et ce, pendant des années.

Dans le rôle d'un acteur flamboyant, pressenti pour incarner Berlusconi dans le film de la jeune cinéaste, Michele Placido offre une délicieuse prestation. Cela dit, Berlusconi est ici interprété par trois acteurs différents, y compris Moretti lui-même, comme une façon de projeter de multiples aspects d'un seul et même personnage, hautement symbolique. On compte aussi quelques scènes d'archives où le vrai Berlusconi apparaît dans toute sa splendeur.

Autrement dit, Moretti a su trouver la bonne manière pour étayer son propos. Il offre ici, à n'en pas douter, l'une de ses plus belles réussites.

Notez que le film prend l'affiche à Montréal en version originale italienne avec sous-titres français.

____________________________

* * * 1/2

LE CAÏMAN, comédie dramatique réalisée par Nanni Moretti. Avec Silvio Orlando, Margherita Buy, Daniele Rampello.

Un producteur en crise s'intéresse au scénario qu'a écrit une jeune réalisatrice, une biographie de Silvio Berlusconi

L'une des plus belles réussites du cinéaste italien.