Les spectateurs qui iront voir Le dernier sacrement au Centre hospitalier de l'Université de Montréal (CHUM) seront accueillis au deuxième étage, au sortir de l'ascenseur. En les faisant pénétrer dans une unité de soins palliatifs créée de toutes pièces, on leur attribuera l'une des trois familles qui y ont des proches. Dans l'une des chambres, ils assisteront à la lecture d'un testament. Dans une autre, on célébrera un mariage - parce que oui, il y a des gens qui se marient juste avant de mourir.

Et puis, on dirigera les spectateurs vers la chambre de Denis Prud'homme, professeur de sciences politiques spécialisé dans les religions. Celui qui, à la fin de la pièce, va mourir.

Denis Prud'homme, c'est Denis Bouchard. Celui qui a écrit et qui jouera le rôle principal dans Le dernier sacrement, une expérience de théâtre immersif qui a pour thèmes le doute et la fin de vie. Un travail d'acteur très particulier, puisque dans cette chambre qui permet aux étudiants en médecine de pratiquer leur futur métier avec de faux patients, les 60 spectateurs seront à quelques mètres à peine de l'action.

«C'est un exercice d'acteur fascinant. Émotivement, je ne sais pas quelle tournure ça va prendre parce qu'on va être très proche des spectateurs. On ne peut pas tricher. C'est à mi-chemin entre une téléréalité et une pièce de théâtre: tout est hyperréaliste.» 

Difficile de jouer la mort dans un tel contexte? «J'ai consulté des médecins, des gens qui travaillent aux soins palliatifs, qui m'ont expliqué c'est quoi la respiration agonale. Je vais jouer sur la respiration et sur le regard, qui est, semble-t-il, très intense.»

Bien plus qu'un décor

La pièce est présentée au CHUM à compter d'aujourd'hui; elle migrera ensuite sur les planches du Théâtre Outremont. Pourquoi était-ce important de jouer cette pièce à l'hôpital? 

«Cette pièce a été conçue à partir de réflexions et de choses que j'ai vues dans les unités de soins palliatifs. Dans un premier temps, on a voulu reproduire une chambre sur scène. Et puis, je me suis dit: "Mon Dieu, je devrais faire ça dans un hôpital." Mais où? Le Royal Vic est vide. L'Hôtel-Dieu est vide. J'ai toujours aimé ça faire des pièces en dehors du théâtre, dit-il. Ici, j'ai bien plus qu'un décor.»

Denis Bouchard a passé beaucoup de temps dans les endroits où on côtoie la mort pour écrire cette pièce. 

«La pièce est partie d'une phrase que j'ai lue, qui disait que les gens qui avaient la foi mouraient plus en paix. Ça m'a interpellé. Je me suis dit que c'était mal parti pour moi ! Ça m'a amené à me poser la question de la fin de vie.»

Au coeur de la pièce de Denis Bouchard, il y a donc cette question fondamentale de la religion. Le patient Prud'homme est agnostique. Il a vécu toute sa vie dans le doute. Son infirmière (Ayana O'Shun) est croyante. Au fil de la pièce, il rencontrera également la fille de l'infirmière (Sofia Blondin), qui est non seulement croyante, mais également pratiquante.

«C'est trois générations et trois points de vue sur la religion, explique Denis Bouchard. C'est difficile pour les gens de ma génération de voir ce retour en force des religions. On pensait que c'était réglé. Et là, il s'ouvre une synagogue ou une mosquée par semaine à Montréal! Mais les plus jeunes nous disent souvent: "Nous, on n'a pas eu à souffrir des religions." Ce n'est pas une pièce qui condamne la religion, c'est une pièce qui questionne.»

Une comédie malgré tout

Malgré ces thèmes plutôt tragiques, la pièce est une comédie. Car Denis Bouchard a été renversé par les patients et les soignants rencontrés dans ces lieux de fin de vie.

«Je pensais que c'était des endroits d'une tristesse sans nom. Ce qui m'a fasciné, c'est qu'on célèbre la vie en fin de vie. J'ai rencontré des gens en fin de vie avec un humour incroyable. J'ai entendu des phrases que j'ai carrément mises dans le show parce que je trouvais ça trop beau.» 

Un exemple? «J'aimerais ça manger vos chocolats, mais je peux pas, je rentrerai pas dans mon urne!»

Rire de la mort, un pari casse-gueule? «Au départ, j'avais des craintes. Je ne pensais pas écrire une comédie, je pensais écrire à partir de ce que je vivais, de ce que je voyais. Mais les gens qui étaient là-dedans, ils me faisaient rire!»

«Les gens qui travaillent aux soins palliatifs, qui sont là depuis 30 ans, le contact qu'ils ont avec les gens en fin de vie... J'ai voulu rendre hommage à ces personnes.»

Et surtout, en faisant mourir Denis Prud'homme, Denis Bouchard a pu faire la paix avec le décès de son père, mort d'un AVC il y a cinq ans. «C'est torve, un deuil. Quand mon père est mort, j'ai mis ça sur le back burner. Et des années plus tard, je me suis farci une peine d'amour aussi subite qu'inattendue. C'est venu faire revivre quelque chose de pas réglé. En ce sens, la pièce a été une catharsis.»

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Le dernier sacrement sera présentée au CHUM, du 1er au 12 mai. Les fonds recueillis iront en partie à la fondation de l'hôpital universitaire. La pièce reprendra au Théâtre Outremont, du 17 au 19 mai.