Après Illusions en 2015, Florent Siaud retrouve le dramaturge russe Ivan Viripaev avec son texte Les enivrés. Le metteur en scène n'hésite pas à qualifier la pièce de chef-d'oeuvre contemporain. Un spectacle pour lequel il a réuni une distribution... enivrante!

Le corps imbibé d'alcool désinhibe l'esprit. Au pays de la vodka, on le sait bien. Le dramaturge russe Ivan Viripaev cherche d'ailleurs à libérer la parole et les consciences. Pour le metteur en scène Florent Siaud, le sujet de la pièce Les enivrés n'est pas l'alcool, mais ce qu'il permet de mettre en lumière.

«Tous les personnages vont traverser, grâce à l'ivresse, un état, non pas de folie, mais de révélation, sur leurs amitiés, leur couple, leur existence, décrit-il. Ils éprouvent une hyperlucidité face à eux-mêmes, une conscience plus juste de ce qu'ils sont, ce qu'ils ont été et là où ils veulent aller dans la vie.»

L'oeuvre en deux actes montre, dans un premier temps, des groupes de personnages dans des situations diverses : un couple, un enterrement de vie de garçon, un après-mariage... Et le deuxième acte fait se rencontrer tous les personnages du début dans une série d'épiphanies qui donnent le vertige.

«C'est très intériorisé, profond. C'est à la fois grandiose et intime, grandiloquent et philosophique, comique et dramatique. Il y a un côté chamanique. Viripaev nous embarque dans un continent inconnu de réalités nouvelles, poursuit le metteur en scène. C'est très curieux. C'est un voyage qu'il propose, l'exploration d'un état second qui nous met en lien avec des vérités élémentaires de la vie.»

Distribution impressionnante

Le metteur en scène de 4.48 Psychose, avec Sophie Cadieux, s'est entouré d'une distribution impressionnante pour ce texte exigeant.

«C'est un théâtre de la combustion. Si les acteurs n'entrent pas sur scène enflammés par l'étrangeté du texte, ça ne peut pas marcher.»

«Ça demande aux acteurs beaucoup de présence entre eux, mais aussi avec les spectateurs. C'est un théâtre de la communication. C'est d'une grande humanité.»

Une humanité communicatrice, donc. Le spectateur est pris en considération. Ici, pas question de le garder à distance. Le théâtre de Viripaev reste organique, même s'il amène à réfléchir.

«À la fin de la pièce, il demande aux spectateurs: et vous, qu'allez-vous faire après avoir vécu un tel voyage de révélations? Le théâtre de Viripaev met en scène des choses pour mieux que le spectateur retourne à son for intérieur.»

Dostoïevskien, tchékhovien... Viripaev est inspiré par ces auteurs, tout en restant profondément moderne, voire actuel. Il traite des doutes et des hantises de la vie réelle. «Jamais ça ne tombe d'un côté ou de l'autre. Ça marche sur un fil ténu entre le comique et le tragique. La vie est comme ça», croit-il.

Florent Siaud donne toujours des directives précises aux acteurs au début des répétitions, mais le processus mène à une rencontre explosive entre la personnalité des interprètes, leur personnage, le texte et le spectateur.

«Honnêtement, cette pièce est un mystère absolu, une énigme, un monolithe noir atterri sur la planète de la dramaturgie actuelle. C'est miroitant, complexe, paradoxal. Je pense que c'est l'un des chefs-d'oeuvre absolus des années 2010. Il faut l'embrasser pour le rendre. On ne peut pas faire dans la demi-mesure.»

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Au théâtre Prospero, jusqu'au 16 décembre.