Vent de fraîcheur. Coup de jeunesse. Audace. Place à la relève... Les récentes nominations chez Duceppe et au sein d'autres compagnies ont soulevé moult éloges du milieu. Ces changements annoncent-ils le début d'un temps nouveau pour le théâtre québécois ?

Ça bouge dans les théâtres à Montréal et à Québec. Il y a énormément de mouvement et de nouveaux visages à la tête des compagnies. Une génération montante accède (enfin) à des postes importants à la direction des théâtres.

Depuis 2014, une douzaine d'institutions ont changé de direction artistique : le Quat'Sous, La Bordée, le Périscope, La Chapelle, le Théâtre Denise-Pelletier, l'École nationale de théâtre, le Conservatoire de Québec, le Festival TransAmériques, le Centre des auteurs dramatiques (CEAD)... Ce printemps, Duceppe a embauché deux jeunes directeurs artistiques. En août prochain, le Centaur accueillera une femme à la tête de la compagnie ; la première depuis la création du théâtre anglophone... en 1969.

Il était temps ! se réjouissent plusieurs créateurs. Pendant des décennies, les portes de la majorité des institutions d'art dramatique étaient closes. Au point où un poste de directeur artistique semblait être un mandat à vie...

« C'est la meilleure nouvelle que j'ai eue depuis la naissance de ma fille ! », s'est exclamée la comédienne Ève Landry sur Facebook, en apprenant l'arrivée de David Laurin et de Jean-Simon Traversy chez Duceppe, le 19 avril dernier. Les deux trentenaires succèdent à Michel Dumont, en poste depuis 27 ans. Hors d'un cercle restreint, Laurin et Traversy sont d'illustres inconnus... Et pourtant, le conseil d'administration présidé par Gilles Duceppe leur a confié les rênes du théâtre le plus populaire de la province ! 

« Louise Duceppe et son comité de sélection ont eu beaucoup de vision. Ce qui se passe est inspirant pour tout le milieu au Québec », lance Marie-Hélène Gendreau. À 34 ans, la metteuse en scène a été nommée à la tête du Périscope l'été dernier, sans jamais - à l'instar des gars de Duceppe - y avoir rêvé un jour.

« Tout le monde m'a dit de poser ma candidature. J'ai reçu l'appui et la confiance d'artistes de générations plus vieilles que la mienne. Vouloir un souffle nouveau au théâtre, ce n'est pas seulement une question d'âge ou de public »

- Marie-Hélène Gendreau

Cette dernière souligne au passage que l'arrivée d'Anne-Marie Olivier au Trident, en décembre 2012, avait amorcé ce virage à Québec.

Le renouveau formel, la transmission entre les générations, la voix des femmes, la diversité culturelle... le théâtre québécois se lance dans plusieurs chantiers pour l'avenir. Eda Holmes, première directrice du Centaur, compte bien refléter la diversité linguistique, la culture urbaine et faire de la place à la parole des femmes dans sa programmation. 

« Je suis féministe et j'en suis fière », tranche la metteuse en scène qui a travaillé en Ontario, entre autres au Shaw Festival et au Tarragon Theatre. « Un directeur artistique doit faire le pont entre les artistes et le public. » Selon elle, les jeunes Montréalais sont ouverts désormais aux productions bilingues.

L'ADN DU D.A.

Mais qu'est-ce qui fait donc courir le directeur artistique d'un théâtre ? Quel est son rôle ? C'est celui ou celle qui donne le ton, l'esprit et la couleur à une compagnie ; un peu comme le metteur en scène dans une production.

« À la base, c'est un matchmaker, illustre Olivier Kemeid ; on peut le comparer au directeur d'une agence de rencontre... Ensuite, le directeur artistique doit être un stimulateur, un incubateur et un rassembleur des forces vives de la création au sein de la maison. »

En dévoilant sa première programmation au Quat'Sous, lundi dernier, Kemeid a signé dans le programme de la saison un texte qui tient du manifeste culturel. Le directeur dit ne pas vouloir habiter la maison tout seul. Son théâtre sera dans la Cité : 

« Plus une Cité se meut et change sans cesse, moins elle sera assujettie à une pensée unique, à un totalitarisme politique, à des effets de mode passagers. »

- Extrait du texte d'Olivier Kemeid publié dans le programme de la saison du Quat'Sous

Pour cela, l'ex-directeur d'Espace Libre s'est entouré d'un comité de 11 artistes associés, avec lesquels il pourra échanger, débattre et créer un « dialogue réel et complice ». Ceux-ci sont de divers horizons : de Nini Bélanger à Patrice Dubois, en passant par Marc Beaupré. 

D'ailleurs, Olivier Kemeid, comme ses collègues interrogés pour ce reportage, souligne que les différentes compagnies collaborent plus facilement depuis quelques années... « Mais il faut conserver nos mandats distinctifs. Si l'on fait tous la même chose, on va perdre les gens. »

MISSION ET TRANSMISSION

Dans l'esprit du directeur artistique du Festival TransAmériques, Martin Faucher, le Quat'Sous est un « très bon exemple de transmission » dans le théâtre québécois. De Paul Buissonneau à Eric Jean, en passant par Pierre Bernard et Wajdi Mouawad, « chacun a formé un paysage imaginaire cohérent, avec ses couleurs, ses lignes, sa personnalité, au sein de la maison de l'avenue des Pins », estime celui qui a succédé à Marie-Hélène Falcon au FTA en juin 2014.

Dans la Vieille Capitale, le nouveau directeur de La Bordée, Michel Nadeau, se sent porteur du mandat défini par les fondateurs du théâtre créé en 1976 par Jack Robitaille, Jacques Leblanc et Jean-Jacqui Boutet. « Nous programmons un théâtre accessible, populaire, "élitaire", pour utiliser l'expression de Jean Vilar [le fondateur du Festival d'Avignon] », dit-il. 

Michel Nadeau trouve aussi important que son théâtre reflète également le milieu où il a pignon sur rue, qu'il soit en lien avec sa communauté. 

« La Bordée est située au coeur de Saint-Roch : un quartier jeune, diversifié, et qui a la plus forte concentration d'immigrants dans la capitale. »

 - Michel Nadeau, directeur artistique de La Bordée, à Québec

UNE COURROIE DE TRANSMISSION

Olivier Bertrand, le nouveau patron du Théâtre La Chapelle, habite Montréal depuis 18 mois. Il se voit d'abord « comme un spectateur subjectif, une courroie de transmission entre l'artiste et le public ». Il arrive avec une bonne expérience en programmation, puisqu'il a travaillé auparavant au Théâtre la Bastille et au Théâtre de la Cité internationale à Paris. À ses yeux, une nouvelle direction artistique doit s'ajuster au contexte du théâtre, tout en lui insufflant sa personnalité. Le mandat de La Chapelle est l'interdisciplinarité, le risque et l'avant-garde.

Même son de cloche du côté du CEAD. En poste depuis un mois seulement, Alain Jean est « arrivé avec une forme d'humilité ». Le directeur général veut prendre le temps d'observer l'évolution de l'organisme, avant de se lancer dans de nouveaux développements pour le CEAD. 

De son côté, David Laurin met la barre haut en ce qui concerne sa mission chez Duceppe : « Pour Jean-Simon et moi, diriger une institution théâtrale, c'est un moyen de contribuer à rendre la société plus sensible et plus humaine, en la mettant en contact avec des histoires puissantes qui sont en phase avec l'actualité et les nouveaux courants dramaturgiques. »

Humanité. Sensibilité. Actualité. Un vent de fraîcheur secoue actuellement le théâtre québécois. Le sentez-vous ?

De nouveaux directeurs

JEAN-SIMON TRAVERSY ET DAVID LAURIN 

31 et 33 ans, codirecteurs artistiques chez Duceppe depuis avril 2017

Prédécesseurs : Michel Dumont, Jean Duceppe (fondateur)

EDA HOLMES

Directrice artistique et générale du Centaur Theatre (en fonction le 1er août) 

Prédécesseurs : Roy Surette, Gordon McCall, Maurice Podbrey (fondateur)

OLIVIER KEMEID

41 ans, directeur du Quat'Sous depuis octobre 2016

Prédécesseurs : Eric Jean, Wajdi Mouawad, Pierre Bernard, Louison Danis, Louise Latraverse, Paul Buissonneau (cofondateur)

MARIE-HÉLÈNE GENDREAU

35 ans, coordonnatrice artistique du Périscope, à Québec, depuis août 2016

Prédécesseurs : Frédéric Dubois, Marie-Ginette Guay

Le Périscope a d'abord existé sous le nom d'Implanthéâtre, qui comptait parmi ses directeurs artistiques fondateurs Denis Denoncourt, Jacques Lessard, Denis Bernard, Sylvie Auger et André Lachance.