L'actrice iranienne Golshifteh Farahani s'immerge corps et âme en France dans son premier rôle au théâtre depuis son départ d'Iran il y a huit ans, Anna Karénine, une héroïne qui «a payé très cher sa liberté, comme moi», a-t-elle confié à l'AFP.

La pièce, qui se joue du 12 mai au 12 juin au Théâtre de la Tempête dans la Cartoucherie de Vincennes près de Paris, marque pour elle un «retour à mes sources profondes», dit-elle avec un grand sourire.

Avant d'être la première actrice depuis la révolution iranienne à jouer à Hollywood (Body of Lies de Ridley Scott avec Leonardo DiCaprio) Golshifteh Farahani menait de front théâtre, avec son père, le metteur en scène et auteur iranien Bezhad Farahani, et cinéma.

Sa subite renommée internationale après Body of Lies lui avait attiré les foudres du régime iranien. Critiquée pour avoir posé bras nus aux côtés de Leonardo DiCaprio, interdite de sortie - on lui confisque son passeport - elle réussit à sortir d'Iran et se résout à l'exil.

«L'exil, c'est comme un enfant mort qu'on n'oublie jamais», dit-elle de sa voix chantante. «Je ne regrette pas du tout: c'est un privilège, d'avoir expérimenté ce truc profond et extraordinaire à l'âge de 24 ans» (elle en a 32 aujourd'hui). J'ai perdu mon pays, mais j'ai gagné le monde».

Si les films se sont enchaînés depuis, le théâtre avait disparu du paysage. «J'avais cette barrière de la langue, je ne parlais pas un mot de français à mon arrivée il y a huit ans», rappelle-t-elle.

Les longs monologues d'Anna Karénine, adaptés du roman de Tolstoï par le metteur en scène Gaëtan Vassart ont failli la faire fuir. «C'est la persévérance de Gaëtan qui a tout emporté», dit-elle, souriante.

«C'est très lourd, le rôle d'Anna est d'une intensité extraordinaire, elle passe d'un extrême à l'autre» dit-elle.

Symbole d'émancipation

Gaëtan Vassart n'a pas choisi l'actrice iranienne par hasard: son adaptation est centrée sur la question de l'émancipation des femmes, dont Golshifteh est un symbole en Iran.

L'héroïne de Tolstoï, mariée et mère d'un garçon de six ans, lutte d'abord contre son amour pour un jeune officier avant de braver les conventions sociales. «Anna ne fait pas de compromis et décide de vivre entièrement une chose jusqu'au point de se brûler entièrement. Le pouvoir a peur des gens comme elle», commente Golshifteh.

La jeune femme passe facilement, comme son héroïne, d'un extrême à l'autre, sifflotant gaiement un instant, avant de parler de son «pays adoré», le visage soudain grave.

«J'ai toujours envie de rentrer. Ça va mieux en surface en Iran, mais tout ce qui m'empêche de rentrer est toujours là, je pense parfois que je vais mourir en exil, que les Iraniens de Paris vont faire des démarches pour m'enterrer au Père Lachaise (cimetière parisien, ndlr), j'ai des visions comme ça», dit-elle.

Le retour à la scène l'enchante: «j'ai le sentiment de retourner à mes sources profondes avec le théâtre. Mon père, qui est un peu socialiste, gauchiste, disait toujours qu'on était au service du peuple, et ici à la Cartoucherie c'est un peu ça, j'aime ce côté militant, que tout le monde aie le même salaire, c'est un peu comme une bulle d'amour et d'empathie».

Ariane Mnouchkine, qui a fait de la Cartoucherie son fief avec son théâtre du Soleil est pour elle «une légende», comme Peter Brook, avec qui elle a failli jouer à trois reprises.

Très présente au cinéma (Les malheurs de Sophie de Christophe Honoré, Pirates des Caraïbes en 2017) Golshifteh sera au Festival international de Cannes (du 11 au 22 mai) pour le film de Jim Jarmusch, Paterson, l'histoire d'un chauffeur de bus poète.

«On cherche toujours les célébrités, mais les vrais artistes sont des gens qu'on ne connaît même pas, qui vivent modestement dans leur maison», dit-elle.