Ce printemps, Guylaine Tremblay a rendez-vous avec Nana. Après quatre ans loin des planches, la comédienne reprend du service chez Duceppe dans Encore une fois, si vous permettez de Michel Tremblay. La Presse a suivi l'actrice adorée des Québécois entre ses répétitions au théâtre et les enregistrements de son émission Banc public. Portrait en pièces détachées.

La comédienne

Au théâtre, la préparation d'un rôle est une course de fond qui commence plusieurs mois avant la première. En janvier dernier, Guylaine Tremblay a passé une partie de ses vacances à Cuba à apprendre son texte. «Je voulais amorcer les répétitions en l'ayant déjà en mémoire», dit-elle.

Lorsque le journaliste arrive à la salle de répétitions de la compagnie Jean-Duceppe, Guylaine le salue en s'empressant de ramasser des papiers-mouchoirs qui traînent sur la table de travail. Trois semaines avant la première d'Encore une fois, si vous permettez, la comédienne a attrapé une bronchite. Or, ce matin-là, son rôle chez Duceppe l'angoisse plus que son infection, car l'actrice cherche encore «sa» Nana...

L'interprète connaît bien ce personnage apparu d'abord sous les traits de «la grosse femme» dans les Chroniques du Plateau Mont-Royal, puis sous le nom de Rhéauna dans les romans de La diaspora des Desrosiers. Depuis son enfance, Guylaine Tremblay fréquente assidûment l'oeuvre du barde de la rue Fabre.

«J'ai trop en tête la vraie mère de Michel. J'en ai parlé à Michel et il m'a donné un précieux conseil. Il m'a dit: "Oublie que cette femme a existé; joue-la comme un personnage de théâtre. Pas comme ma mère."»

Pour son retour au théâtre dans un premier rôle, la vedette d'Unité 9, habituée aux grands plateaux de télévision, travaille en équipe très réduite. Elle répète avec trois personnes: Henri Chassé, qui joue le narrateur et alter ego de l'auteur; le metteur en scène Michel Poirier et son assistante Geneviève Lagacé. La comédienne écoute les conseils que Poirier lui donne. Il faut dire que ce dernier connaît parfaitement l'oeuvre de Tremblay. «Nana est une mère typique des années 50. Dans le temps, c'était elle le boss dans la maison! Tu ne dois pas essayer de la moderniser», note Poirier.

La pièce est un hommage à la mère de Michel Tremblay. Or, sous les traits de Nana, elle devient une figure universelle, symbolisant les relations mère-fils de l'époque. Non pas que les mères aimaient moins leurs enfants dans les années 50 et 60, mais elles l'exprimaient autrement.

«Une mère se tuait pour ses enfants, sans jamais le montrer, remarque l'actrice et mère de deux filles de 16 et 19 ans. Aujourd'hui, on dit je t'aime tous les jours à nos enfants, et on met tous leurs dessins sur la porte du réfrigérateur.»

Coeur de maman

Créée par la regrettée Rita Lafontaine en août 1998 au Rideau Vert, à l'occasion du 30e anniversaire de la production des Belles-soeurs, Nana est une femme à la fois simple et extraordinaire. «C'est une maman à l'imagination débordante, avec un côté dramatique et une forte propension à l'exagération», dit son interprète.

En moins de 20 ans, la pièce a fait l'objet d'une centaine de productions dans plusieurs langues. La grande Olympia Dukakis a joué Nana en tournée américaine; Nicola Cavendish a fait la même chose au Canada; puis Louison Danis au Québec.

«Jouer du Tremblay, c'est comme retrouver un vieux coffre rempli de souvenirs dans le grenier. Si je pouvais, je jouerais toutes ses pièces!»

«Très jeune, Michel a pu saisir parfaitement l'âme des femmes, poursuit la comédienne. C'est incroyable qu'un gars de 23 ans - l'âge qu'il avait quand il a écrit Les belles-soeurs - ait pu décrire 15 femmes aussi différentes et universelles. On sent qu'il a beaucoup aimé et écouté les femmes.»

Guylaine Tremblay estime que le théâtre est encore plus indispensable en 2016 qu'à ses débuts. «Une gang d'humains qui vibrent aux mêmes émotions, dans le même espace-temps, c'est devenu rarissime dans notre monde virtuel.»

La rêveuse

Enfant, Guylaine Tremblay est tombée dans la potion magique de la fiction. Née dans Charlevoix en 1960, elle a été élevée dans le quartier Vanier à Québec, «entourée de belles-soeurs», dit-elle. «J'ai grandi dans un monde de fantaisie, raconte Guylaine. Je me déguisais en majorette chez moi. Mes parents m'ont toujours encouragée à développer mon imagination, ma fantaisie et à aller au bout de mes rêves.»

À 5 ans, Guylaine regarde les soirées du Théâtre Alcan le dimanche à Radio-Canada. «C'est dommage qu'on ne présente plus de théâtre à la télévision, déplore-t-elle. En région, c'est souvent l'unique moyen d'avoir accès au théâtre.»

Si la petite fille adore les téléthéâtres, elle ne rêve pas (encore) de devenir comédienne. «Dans ma tête de petite fille de la basse-ville, les actrices faisaient partie d'un autre monde. Elles ne venaient pas d'un milieu ouvrier. Et elles s'appelaient Yvette Brind'Amour, Andrée Lachapelle, Edwige Feuillère, Madeleine Robinson... Pas Guylaine Tremblay! Beaucoup plus tard, j'ai réalisé que tu pouvais jouer Hedda Gabler et rester une femme simple.»

Une rencontre déterminante

À 11 ans, à l'instar de centaines de milliers de Québécois, Guylaine a un choc en regardant En pièces détachées de Michel Tremblay aux Beaux dimanches

«J'ai alors réalisé qu'on pouvait s'appeler Tremblay et devenir un artiste; que la culture n'était pas réservée à l'élite.»

Deux ans plus tard, l'adolescente fait une autre rencontre déterminante: celle de Robert Lepage.

«J'étais en 3e secondaire et lui en 5e secondaire, se souvient-elle. Je le regardais déjà avec admiration, car il était dans la "gang" de théâtre! Ensuite, au cégep, je lui ai demandé conseil pour rentrer au Conservatoire de Québec. Avec toute la douceur et la patience du monde, il m'a expliqué comment faire ma demande pour les auditions. J'ai préparé ensuite mes deux scènes pour les auditions, sans partenaire de jeu ni coach. J'avais enregistré les répliques sur un magnétophone!»

On aura compris qu'à 18 ans, Guylaine Tremblay avait une qualité essentielle à son métier: l'abandon. Or, à ses yeux, il est plus facile de s'abandonner au théâtre que dans la vie, car la scène représente un lieu de liberté. Selon l'actrice, «la vie est beaucoup plus périlleuse, car, dans la vie, on n'a aucun contrôle. Sur scène, je sais exactement ce que je vais dire, à quel moment et à qui je vais le dire. Pour moi, la vie, c'est comme un immense match d'improvisation!»

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Selon Guylaine Tremblay, il est plus facile de s'abandonner au théâtre qie dans la vie, car la scène représente un lieu de liberté.

La star

Le succès populaire est arrivé assez tard dans la carrière de Guylaine Tremblay - au milieu de la trentaine. Depuis, il ne l'a jamais quittée. Avant de devenir une vedette, la comédienne avait joué dans une cinquantaine de pièces de théâtre à Québec et à Montréal. C'est grâce à son rôle de Caro, la fille rebelle de la famille Paré, que le public l'a adoptée. Au plus fort de La petite vie, en 1995, le téléroman de Claude Meunier attirait de 3 à 4 millions de téléspectateurs chaque lundi soir!

«À la fin de l'émission, j'ai refusé beaucoup d'offres très alléchantes, confie Guylaine Tremblay. On me proposait de faire et de refaire Caro. Après avoir défendu durant cinq ans ce personnage absurde écrit par un maître du genre [Claude Meunier], je ne pouvais que faire une mauvaise imitation de Caro Paré. Et j'aurais été condamnée à jouer des Caro toute ma carrière!»

Pour Guylaine Tremblay, un interprète doit suivre son instinct, quitte à refuser un rôle lucratif et à manger des pâtes durant quelques mois.

«Il y a un côté gambler dans le métier d'acteur. Un comédien ne doit pas se limiter à un registre: il doit aller vers des projets qui l'amènent ailleurs.»

L'an dernier, le producteur de l'émission d'humour SNL Québec a appelé Guylaine pour qu'elle participe à l'émission. «J'ai dit oui avant qu'il ne termine sa phrase! Mon instinct d'actrice me disait que ça me ferait du bien de faire 90 minutes de comédie en direct; ça me changerait de l'univers très noir de Marie Lamontagne.»

En effet, Guylaine Tremblay a un registre fort étendu. Elle excelle dans le drame comme dans la comédie, dans des films et des téléromans populaires, ainsi que dans des oeuvres plus exigeantes (Contre toute espérance de Bernard Émond, Mariages de Catherine Martin...). Depuis 15 ans, la comédienne a remporté une douzaine de prix Artis, MetroStar, Gémeaux, Jutra...

Reconnaissante, Guylaine ne s'explique pas ce tsunami d'amour des Québécois. «Mais je suis assez sage pour savoir que le jour où je ne serai plus en nomination, le public va m'aimer quand même.»

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Depuis 15 ans, Guylaine Tremblay a remporté une douzaine de prix Artis, MetroStar, Gémeaux, Jutra...

L'animatrice télé

En matinée le samedi 19 mars dernier, Guylaine Tremblay et l'équipe du magazine social Banc public ont investi un hall de l'École polytechnique. Pendant que les étudiants étaient en examen, l'animatrice recevait ses invités pour discuter de sujets humains et éducatifs. Elle tournera trois émissions durant la journée. Aime-t-elle son rôle d'animatrice et intervieweuse? «J'adore ça! Mais je ne pensais jamais faire ça dans ma vie.»

Lorsque France Beaudoin (la productrice de l'émission) lui a présenté le projet, Guylaine a accepté en lui disant que le concept devait mettre en valeur les invités... pas l'animatrice. «Je ne voulais pas avoir la lumière sur moi, j'en ai assez comme ça. On enregistre dans un lieu public, ouvert, avec un équipement léger, une seule caméra. On doit avoir l'impression que l'invité parle avec une connaissance.»

«Je n'ai pas de cartons ni de notes. Je prépare mes entrevues comme une comédienne qui prépare un rôle.»

L'émission reviendra à Télé-Québec la saison prochaine. Au grand bonheur de l'animatrice. «J'aime les gens. Vraiment! Je suis fascinée par les êtres humains. Ils forment la matière première de mon travail. Alors, j'essaie de rester le plus près possible du monde.»

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

L'émission Banc public reviendra à Télé-Québec la saison prochaine. Au grand bonheur de l'animatrice.

La femme qui pleure

Guylaine Tremblay est comme un saule inconsolable. Elle pleure souvent, abondamment, en public ou en privé, dans les moments heureux ou malheureux. À 3 ans, elle pleurait tellement en regardant les funérailles du président John F. Kennedy à la télévision que sa mère l'a fermée pour consoler sa fille.

Adolescente, elle se souvient d'avoir pleuré à chaudes larmes en voyant à la télévision Monsieur Pointu jouer à l'Olympia de Paris. C'était durant un spectacle de Joe Dassin; ce dernier avait invité le violoniste à le rejoindre sur scène. «J'étais inconsolable! Mes amis ne comprenaient pas ma réaction. "Tu pleures en voyant Monsieur Pointu?" Mais je pleurais parce que je voyais un artiste réaliser un rêve!»

«Les larmes me viennent facilement. C'est plus fort que moi, dit-elle. J'ai longtemps pensé je n'étais pas normale, trop à fleur de peau. Puis un jour, je me suis dit tant pis. Je suis comme je suis!»

Tant mieux. Parce que justement, le Québec aime Guylaine Tremblay pour son authenticité. 

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Encore une fois, si vous permettez de Michel Tremblay. Au Théâtre Jean-Duceppe jusqu'au 14 mai.

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Guylaine Tremblay admet pleurer souvent, abondamment, en public ou en privé, dans les moments heureux ou malheureux.