Ce n'est pas tous les jours qu'on adapte le scénario d'un film pour la scène.

Habituellement, c'est le cinéma qui sert de réceptacle aux oeuvres théâtrales ou littéraires. D'où l'intérêt de cette adaptation théâtrale du film de John Cassavetes par Fanny Britt. D'autant plus que le film fait le récit de la création... d'une pièce de théâtre.

Nous sommes en effet dans les coulisses d'un théâtre américain, quelque part au Connecticut, avec un groupe d'acteurs qui répète un texte mettant en scène un couple en crise. Une crise qui a beaucoup à voir avec le passage du temps, mais aussi avec la trace qu'on laisse derrière soi.

Mais voilà, l'actrice Myrtle Gordon (Sylvie Drapeau) refuse de donner vie à son personnage, qui fait face à son propre vieillissement. De plus, la mort accidentelle d'une admiratrice de 17 ans la plonge dans les souvenirs d'une jeunesse révolue.

L'actrice va jusqu'à craindre de triompher dans un rôle de «vieille», c'est tout dire...

Bref, rien ne va plus durant ces répétitions où Myrtle, aux prises avec des hallucinations de la jeune fille morte, noie sa peine dans l'alcool. Il faut dire que ses collègues, qui la perçoivent comme une diva, ne lui sont d'aucune aide. Sauf peut-être le metteur en scène de la pièce, qui profite d'ailleurs de sa vulnérabilité.

Le choix de la démesure

Sylvie Drapeau a évidemment toutes les qualités pour interpréter le rôle défendu au grand écran par Gena Rowlands. Mais voilà: elle a choisi la voie de la démesure et de l'hystérie. Son personnage est bien sûr très intense, mais Sylvie Drapeau, qui hurle par moments, lui donne des airs de folle dingue.

Impossible, dans ce contexte, de nous faire ressentir les tourments d'un acteur qui s'identifie à ce point à son personnage - au même titre que le spectateur d'ailleurs, qui peut être perturbé de se reconnaître dans l'interprétation d'un personnage de fiction.

La comédienne se rattrape toutefois dans la scène finale de ladite représentation «devant public», où, complètement ivre, elle interprète le rôle de Virginia avec maestria. Malheureusement, les scènes de Myrtle avec l'auteure de la pièce (Muriel Dutil), si mémorables dans le film de Cassavetes, passent ici dans le beurre...

Le jeu des acteurs de soutien est variable. À commencer par Stéphane Jacques qui a plus l'air d'un «pimp» que d'un metteur en scène. Mani Soleymanlou amène une belle touche de légèreté au drame, mais il est plus ou moins crédible dans le rôle du premier mari de Myrtle.

Quant à Sasha Samar, découvert dans Moi, dans les ruines rouges du siècle, il est sans doute le plus crédible des partenaires de jeu de Myrtle, même si lui aussi finit par pousser la note un peu fort. Il reste que l'acteur d'origine ukrainienne fait la preuve de son grand talent.

Au final, le metteur en scène Éric Jean ne parvient pas à créer une unité de ton dans cette production. On a l'impression que chacun va dans sa propre direction. De plus, le dispositif scénique, fait de panneaux amovibles qui sont constamment tournés et retournés, s'avère à la fois encombrant et inutile.

Éric Jean a quand même réussi à créer des tableaux sans paroles assez émouvants, qui évoquent le passage du temps. De beaux flashs qui remplacent les gros plans et les silences pesants du film. Mais c'est trop peu, trop tard. On repart avec le tympan qui retentit et la fausse impression que les acteurs sont tous des névrosés...

Au Quat'Sous, jusqu'au 27 septembre