D'entrée de jeu, il faut reconnaître à Espace Go l'audace de mettre en lumière une dramaturgie exigeante et nécessaire, dont La ville de Martin Crimp est un beau fleuron.

La pièce ne plaira pas à tous les publics. Il s'agit d'une démarche cérébrale, froide à plusieurs égards, mais recelant un réel délice pour l'esprit fouineur et inquiet.

Dit simplement, elle pourrait se résumer ainsi: Chris perd son emploi, Clair, sa femme, se perd dans ses pensées confuses, tandis que Jenny, leur voisine, semble carrément avoir perdu la tête.

L'oeuvre du dramaturge britannique, fier héritier d'Ionesco et de Pinter, creuse, toutefois, les zones sensibles des relations homme-femme, d'un monde extérieur étouffant, des enfants «encombrants» et du cynisme ambiant.

On comprend le duo Denis Marleau-Stéphanie Jasmin d'avoir éprouvé un coup de foudre pour ce texte qui se ne donne pas, qui exige tout le doigté d'une mise en scène attentive au pouvoir des mots. De toute évidence, ils se sont régalés.

Cela se lit dans le malaise latent qui est créé, les touches d'humour aussi. Les créateurs respectent admirablement les nuances réalité-fiction et la musicalité du texte.

La scénographie est à la hauteur avec ses distants paliers rectangulaires et son utilisation fort appropriée d'un écran arrière affichant, à la fin, le texte de la pièce et d'une projection vidéo «habitant» le personnage de l'enfant du couple.

Pièce difficile à défendre, on s'en doute aussi, pour les acteurs. Sophie Cadieux (Clair) et Évelyne Rompré (Jenny) s'en tirent merveilleusement.

Lors de la première médiatique, Alexis Martin (Chris) ne trouvait pas toujours le ton juste entre les différentes scènes, mais son personnage de loser s'avère le plus ingrat de tous.

La ville du titre renvoie à un texte écrit par Clair, suggérant que cette pièce mystérieuse était le fruit de son imagination. Il s'agit d'une ville enfouie en soi, donc, faite de suspicion et de paranoïa, d'hésitations, de colère et d'un brin d'amour, dit sur le bout de la langue.

Ce monde intérieur montre ses espoirs, mais surtout ses lâchetés. Il laisse remonter à la surface quelques horreurs de pensées inavouables.

Un théâtre de la cruauté où la réplique phare serait: «Les gens qui s'accrochent à la vie sont les plus dangereux de tous.»

De ce strict point de vue, Clair pourrait être vue comme un monstre. Nous sommes tous, un peu, Clair.

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La ville à l'Espace Go jusqu'au 22 février.