René Richard Cyr s'apprête à présenter Le balcon de Jean Genet, pièce prophétique, selon lui, de la société de spectacle dans laquelle nous baignons. Pour en faire la preuve, le metteur en scène a l'intention de verser dans tous les excès et, comme Genet, dans la provocation.

«C'est un spectacle qui pourrait laisser les gens perplexes, prévient René Richard Cyr. Mais ce sera saisissant. Je me plais à dire que c'est un vaudeville existentiel, une ribouldingue cérébrale. Les gens pourraient se dire: mais c'est quoi cette élucubration? Cette énergie du désespoir? En tout cas, ça oblige à faire le ménage. À réfléchir.»

René Richard Cyr était un jeune homme de 18 ans lorsqu'il a vu Le balcon d'André Brassard en 1977, avec entre autres Monique Mercure, Jean-Louis Roux et Jean-Louis Millette. «Je me souviens d'un spectacle flamboyant. Je me suis intéressé à Jean Genet à partir de ce moment-là», raconte-t-il.

«En tant que jeune homosexuel, j'ai été attiré par son écriture romanesque, poursuit-il. J'ai lu Journal d'un voleur et Notre-Dame-des-Fleurs. Il y avait quelque chose de très sulfureux, une écriture très érotique qui me plaisait, mais en même temps, il y a une langue, une exagération, une exaltation dans l'écriture, qui m'a vraiment soufflé.»

Illusions et révolution

Le Grand Balcon est le nom d'un bordel décrit par sa tenancière, Madame Irma (qu'incarnera Marie-Thérèse Fortin), comme «une maison des illusions». Les clients y viennent bien sûr pour assouvir leurs désirs sexuels, mais aussi pour s'adonner à des jeux de rôles, incarnant des figures de pouvoir (l'évêque, le juge, le général). Ces hommes seront interprétés par Roger La Rue, Denis Roy et Bernard Fortin.

«Ils veulent le titre, mais pas la fonction, pas les responsabilités, dit le metteur en scène. Ça, c'est quelque chose que je trouve moderne et presque prophétique d'une société de spectacle dans laquelle on est, où l'image prédomine. Quand ils sont invités à devenir les vrais évêques, juges et généraux, ils ne savent plus... Mais une fois qu'ils se lancent, ils y prennent goût. Au fond, Genet décrit la mécanique du pouvoir.»

À l'extérieur du Grand Balcon gronde cependant une révolution. Où? Quand? Pourquoi? Ce n'est pas vraiment important. Mais la menace extérieure crée une tension à l'intérieur.

«Pour moi, les révoltés, c'est un peu l'os de la pièce. Les jeux de pouvoir à l'intérieur du bordel ont un sens parce qu'il y a une révolution à l'extérieur. Madame Irma n'est pas folle, elle n'est pas tombée amoureuse d'un cuisinier, mais avec le chef de police qui protège le boxon! Il relève de la reine. Elle est dans le milieu du pouvoir, même si c'est un pouvoir illicite.»

Cette révolte a-t-elle vraiment lieu? Genet laisse planer le doute. «Moi, j'ai pris le parti qu'il y en a une, révolte, répond René Richard Cyr. Mais est-elle vraie, est-elle fausse? Fait-elle partie d'une mise en scène? Est-ce que ça se passe au Balcon? Au TNM? Est-ce qu'il s'agit d'un autre salon où des révolutionnaires se prennent pour des révolutionnaires? On explore toutes les pistes. On mène le spectateur en bateau.»

Montrer la mécanique du pouvoir et ses abus, donc, mais autant chez les clients du Grand Balcon que chez les révoltés. «Il y a un extraordinaire pouvoir de l'image et de l'apparence, du rôle qu'on joue dans la vie, de la fonction qui nous définit. Qu'on soit un juge ou un révolutionnaire. Au fond, il accuse autant les figures de pouvoir que les révoltés, qui laissent la révolte «se figer»...»

Sans nuance

«J'ai pris des décisions radicales en matière de scénographie, de costumes, précise-t-il. On ne fait pas dans la nuance ni dans l'émotion, on est dans toutes les époques. On va dans les archétypes: le juge britannique avec des boudins, le chef de la police américaine, Madame Irma en tenancière de bordel parisien. Pour montrer que c'est partout. Il y a quelque chose de très frontal. On est dans la démonstration, dans le côté exagéré du texte.»

La plus grande qualité de l'écriture de Jean Genet tient justement dans sa précision, estime René Richard Cyr. «Son écriture est aussi précise que large, explique-t-il. Chaque mot est très précis, très bien choisi, mais il a aussi de multiples sens. Sans jamais que ce soit opaque. C'est une écriture multipiste qu'on peut lire sous bien des angles. C'est pour ça que je pourrais remonter un Balcon complètement différent demain matin!»

«Jean Genet était un provocateur-né, nous dit encore René Richard Cyr. Il disait des choses qui n'étaient pas toujours sa pensée, juste pour être dans la désobéissance, dans l'éveil. Pour enflammer. Ses passages en prison, son passé de voleur, son homosexualité qu'il brandissait pour affirmer sa marginalité. Il avait un désir de créer une légende autour de lui.»

> Du 5 au 30 novembre au TNM