Les artistes de scène se retirent, mais leurs écrits restent. Ne leur manquent que de nouveaux passeurs. Pascale Montpetit sera celle de Clémence DesRochers. Elle portera ses poèmes et monologues dans La démesure d'une 32A, un spectacle que la metteure en scène Brigitte Poupart a voulu comme un cabaret onirique mêlant rire et mélancolie. Ariane Moffatt en signe les musiques et la conception sonore.

«Qui peut citer deux de mes vers?», demande Clémence DesRochers dans une récente entrevue accordée à L'actualité. Son visage est connu. Sa manière gentiment malcommode aussi. Il est vrai, toutefois, que son côté givré a relégué dans l'ombre tout un pan de ses écrits. Sa poésie, voire ses chansons anciennes, moins drôles que spleenétiques.

Brigitte Poupart, elle, a lu tout Clémence et entend en montrer toute l'envergure dans La démesure d'une 32A, spectacle mettant en vedette Pascale Montpetit qu'elle a monté à la demande d'Espace Go. Sa visée est claire : elle veut montrer toutes les facettes de l'écriture de Clémence, pas seulement la comique qui a chanté sa ménopause.

«Ce que je voulais qu'on comprenne, c'est que c'est une femme qui écrit, que les moments de sa vie inspirent des personnages, des femmes anonymes qu'on ne voit jamais, qu'on ne remarque pas», explique la metteure en scène, qu'on associe aussi naturellement à un spectacle sanglant avec le chorégraphe Dave St-Pierre qu'à la direction d'un gala télévisé comme celui de l'ADISQ.

Sa vision de Clémence s'articule autour d'une correspondance imaginaire avec un homme que celle-ci a aimé secrètement à une époque où sa mère se mourait. Ainsi, l'auteure vivait un double deuil : celui d'un amour et celui de sa maman. «Ce moment l'a déterminée à la fois comme auteure et comme la femme qu'elle est devenue», estime Brigitte Poupart, ajoutant que les monologues et les personnages les plus déterminants de Clémence ont été écrits à cette époque-là.

Révéler, pas imiter

La démesure d'une 32A se veut tout sauf une pâle copie de ce que faisait Clémence. Le mot «imitation» a été proscrit d'emblée. «Ça tombe bien, je suis incapable d'imiter qui que ce soit!», rigole Pascale Montpetit. La comédienne donne d'ailleurs l'impression de ne ressentir aucune pression à l'idée de porter des monologues encore marqués par la voix de leur auteure.

«Je suis peut-être une imbécile heureuse, mais je vois vraiment ça comme une création», dit-elle. La ligne directrice pourrait se résumer ainsi : s'éloigner de Clémence pour mieux la révéler. Brigitte envisage le spectacle comme un cabaret onirique. «On est plus dans le monde du rêve, sinon dans l'inconscient de cette femme-là», précise-t-elle.

Qui dit cabaret dit chanson. Pascale Montpetit sera accompagnée sur scène par trois musiciens qui interpréteront les musiques et les chansons composées par Ariane Moffatt. Ses airs misent sur le piano et la contrebasse, une combinaison assez classique qu'elle soulève et enveloppe aussi de nappes de musiques électroniques.

«Ça reste doux et enrobant. Ça reste de la chanson, mais c'est texturé pour accompagner le reste de la pièce, qui est à la fois contemporaine et intemporelle», précise la chanteuse, dont on entendra la voix préenregistrée dans le spectacle. La teneur et la couleur des poèmes qu'elle a mis en musique laissent présager un spectacle plus intime que drôle.

Rire optionnel

«Ce n'est pas fait pour être agressivement comique. On ne cherche pas obligatoirement le rire», confirme Pascale Montpetit. «Quand on lit les textes de Clémence, on ne se tape pas sur les cuisses. C'est écrit, très bien écrit, insiste Brigitte Poupart. Il ne faut pas mêler le personnage comique et burlesque qu'elle a été sur scène et ce qu'elle a écrit.»

Clémence possède une plume fine, qui excellait à tourner en dérision les drames de la vie et un sens de l'humour délicieux que Brigitte Poupart n'évacue évidemment pas. «La frontière entre la Clémence intime et la comique n'est pas très marquée dans le spectacle», juge d'ailleurs Ariane Moffatt. «On révèle son écriture pour vrai, affirme avec confiance Brigitte Poupart, parce que c'est une auteure importante.»

Du 13 novembre au 8 décembre à Espace Go

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Les mots de Clémence, les sons d'Ariane

Une plongée dans l'univers de Clémence ne peut se faire sans chansons. Brigitte Poupart a demandé à Ariane Moffatt de mettre de la musique sur des poèmes choisis. La Presse a mis l'oreille sur ces chansons inédites, rassemblées sur un disque vendu les soirs de représentation.

Ouverture (Ma naissance)

Le spectacle de Brigitte Poupart explore la part intime de l'oeuvre de Clémence DesRochers. Il retourne aux racines de cette artiste qui se compare ici à un pissenlit poussant dans les cendres d'un «poète déçu» (son père, Alfred DesRochers) et «d'une mère fatiguée». Le spleen de Clémence imprègne les moindres recoins de ce morceau construit sur un piano d'inspiration classique.

Le vent

Aux mots de Clémence, qui disent les tristes tourments et les blessures de l'amour, Ariane Moffatt répond avec une écriture essentiellement sonore. Sa musique naît d'un souffle numérique qui se déploie, de nappes de claviers et de coups de pinceau gris-bleu posés. La lutherie électronique se marie ici à un piano délicat et des rythmes qu'on confond parfois avec le battement d'un coeur indécis.

Si nous sommes ensemble

Une perle d'espoir dans la grisaille. Un morceau au long cours (plus de quatre minutes) où la poétesse détaille ce qui dans l'amour éloigne ou rapproche: les rêves, le passé, le doute, le silence et... l'espoir, justement. Ce n'est pas un hasard si c'est la pièce à la pulsation la plus pop du lot.

Danse à la vie

Retour à la chanson plus classique à la française: piano, contrebasse caressée par un archet. Écrin dépouillé pour exprimer les affolants et contradictoires sentiments qui assaillent face à la mort, face au deuil. C'est si commun et si lourd à la fois.

Avenir

Piano traité, mis en boucle, bruissement électro, envolée d'apparence légère, comme la lumière au bout d'un long tunnel. «Je verrai naître des amours et repenserai les miennes », écrit Clémence. La vision d'avenir, ornée d'une confiance renaissante, n'arrive toutefois pas encore à se défaire des toiles de la tristesse.

Maman

La démesure d'une 32A parle des gens qui déterminent ce que nous devenons. La mère de Clémence en fut une pour elle. D'où la douleur extrême, à sa mort: «Mes rêves ne sont plus que des gestes livides/ C'est de ta seule absence que je suis habitée.» Un chagrin sous lequel Ariane a pudiquement glissé piano et contrebasse funèbres et émouvantes.