Beaucoup d'intensité à La Licorne avec Ce moment-là, de l'Irlandaise Deirdre Kinahan. Référence à ce moment où, le temps d'un souper de famille, une jeune femme décide de briser la loi du silence. Et de donner un sérieux coup de balai sous le tapis familial, visiblement encombré.

Construit dans l'hyperréalisme, ce drame familial démarre tout doucement dans la maison d'une mère émotivement fragile, aidée de ses deux filles, Niamh et Ciara. On comprend que son fils Nial vient parfois les voir. Mais presque clandestinement. En tout cas, à l'insu de sa soeur Niamh.

La mise en scène de Denis Bernard est ancrée dans ce plat quotidien fait de moments creux - et de certains abus dans les déplacements des comédiens, qui multiplient les allers-retours dans la cuisine. Enfin, toute cette agitation est annonciatrice de l'empoignade qui suivra.

Un soir, ce fils au passé trouble débarque chez sa mère avec son amoureuse, Ruth (excellente Christine Beaulieu), qui veut absolument faire sa connaissance. Par un concours de circonstances tout théâtral, tout le monde s'y trouvera. Ciara et son copain, Dave, Niamh et son collègue, Finn, et bien sûr la maman. Pendant un long moment, on assiste à un souper tout ce qu'il y a de plus ordinaire.

Mais voilà, Niamh ne supporte plus de faire semblant. C'est elle qui confrontera son frère, qu'elle n'a pas vu depuis 15 ans et qui est accueilli tel le fils prodigue. Elle qui lui demandera des explications sur le drame qui s'est produit; elle dont la colère explosera jusqu'à ce que le frère décide de parler du malheureux événement, pour lequel il a écopé d'une peine de prison.

Dans l'ensemble, les comédiens livrent tous une performance de haut vol. Émilie Bibeau, qui interprète le rôle de Niamh, n'a pas une partition facile. Outre son frère, elle confronte sa mère, sa soeur, son beau-frère, sa belle-soeur et son collègue. C'est le mouton noir. Mais ses emportements manquent parfois de nuances. Et ses blessures s'effacent derrière sa colère.

C'est sa soeur, interprétée par Alice Pascuale, qui fait mine d'avoir tourné la page sur le fameux incident - qui nous offre certains des moments les plus touchants de la pièce, notamment dans ses échanges avec Nial, mais aussi avec sa soeur, à qui elle confie ce qu'elle a vécu. Le personnage de Mani Soleymanlou, Finn, allège la pièce avec sa présence improbable au milieu de la tempête.

Louise Laparé, dans le rôle de la maman à la fois lucide et aveuglée par l'amour qu'elle porte à son fils, joue de finesse. Comme Patrick Hivon, qui devra se ménager s'il ne veut pas perdre la voix. Au-delà de toutes ces tensions entre les personnages qu'elle a imaginés, l'auteure parvient à susciter une réelle réflexion sur la résilience et la rédemption, exercice individuel nécessaire, qui se fait parfois aussi sur le dos des autres.

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À La Licorne jusqu'au 10 novembre.