Ils aiment les histoires qui dérangent et n'ont rien contre le théâtre qui divertit. Denis Bernard dirige de nouveau Antoine Bertrand dans Bug, une pièce cauchemardesque où il est question de théorie du complot et de... punaises de lit.

«La morale de l'histoire», commence Denis Bernard, «c'est que la drogue, c'est mal», termine Antoine Bertrand. Ni l'un ni l'autre ne rit. Inutile, leur ironie est palpable. Bug parle des ravages du crack, mais si la pièce est programmée à La Licorne, ce n'est pas pour faire oeuvre utile, mais parce que c'est une sacrée bonne histoire d'horreur.

Son auteur, Tracy Letts, s'y connaît en matière d'histoires qui tournent mal. Sa pièce la plus célébrée, August : Osage County, qui lui a valu un Prix Pulitzer en 2008, fait le portrait d'une famille totalement dysfonctionnelle prise avec des histoires d'abus de drogues, d'alcoolisme, d'inceste, de pédophilie et de harcèlement sexuel...

Bug est la deuxième incursion du Théâtre À qui mieux mieux dans le théâtre américain contemporain, un répertoire avec lequel Antoine Bertrand, cofondateur de la compagnie, se sent des affinités. «Je ne peux pas nier que j'adore ce monde-là. J'ai habité aux États-Unis et il y a quelque chose de très américain chez moi», juge le comédien, qui a d'ailleurs vu August : Osage County à New York.

Tracy Letts a construit Bug comme un huis clos d'horreur : chambre de motel miteuse, punaises de lit, party de drogue qui vire à la paranoïa et violence conjugale. La fille au coeur de la pièce, interprétée par Émilie Gauvin, est une serveuse paumée qui s'accroche à un vétéran de l'Irak (Marc-François Blondin), mais qui doit aussi faire face à son ex qui sort à peine de prison (Antoine Bertrand).

Seuls ensemble

«Ce qui me plaisait dans cette pièce-là, c'est son ambiguïté, explique le comédien. Est-ce qu'elles sont là ou non, les bibittes? C'est quoi la part de délire? Ce qui me touchait aussi, c'est qu'une personne fragile se laisse embarquer parce qu'elle aime mieux être dans le délire de quelqu'un à deux que d'être seule et relativement saine d'esprit.» Bug met en effet en scène des gens se trouvent des atomes crochus en s'enfonçant dans un gouffre.

Denis Bernard, qui a dirigé Antoine Bertrand dans le sombre Pillowman de Martin McDonagh il y a quelques saisons, a accepté de diriger ce thriller. Les deux hommes de théâtre partagent visiblement un goût pour les histoires sombres et tordues. Détail qui a son importance, avant même d'approcher le metteur en scène, une partie de la distribution avait déjà été décidée.

«Ils m'ont proposé une espèce d'aventure du genre clé en main, mais le ménage n'est pas fait dans le garage», illustre Denis Bernard. Ne lui restait plus qu'à mettre de l'ordre. Ce qui n'a pas été une mince affaire. «C'est une pièce extrêmement dangereuse. Elle est pleine de qualités, mais en même temps, c'est très américain et c'est un théâtre de genre», analyse le metteur en scène.

Semer le doute

Denis Bernard avoue avoir eu du mal à trouver un filon qui lui permettrait de plonger les spectateurs dans le délire gore suggéré par le texte et ces théories de la conspiration tout en restant dans une certaine vérité au plan émotif. Ne faire que du théâtre de genre n'était pas une option pour lui. «Tout ça part d'une douleur, a-t-il finalement constaté. J'avais juste besoin de ça pour partir avec les acteurs et raconter l'histoire.»

Bug ne versera pas dans la surenchère. «On n'ira pas dans la violence, mais dans l'inquiétant», précise le metteur en scène. Il veut naviguer entre deux eaux, laisser planer le doute et espère mettre les spectateurs dans un état d'esprit qui fera que, en sortant du théâtre, ils auront envie de croire aux conspirations pendant un instant. «Il y a quelque chose de rassembleur dans la théorie du complot. Et dans la punaise de lit», s'amuse Antoine Bertrand.

«Je veux qu'on adhère à ces deux affaires-là et le reste, ça reste une expérience amusante et sensorielle, précise Denis Bernard. Cette pièce-là ne changera pas la société, ce n'est pas le but.» Antoine Bertrand acquiesce en souriant, puis il ajoute : «Sauf que la drogue, c'est mal».

Bug, du 22 mai au 9 juin, à La Licorne.