Pendant que les spectateurs s'entassent dans la salle intime du Prospero, une des comédiennes de Cour à scrap nous tourne le dos, hypnotisée par son petit écran qui diffuse les prévisions météo. On la croise tous en rentrant, mais personne ne fait vraiment de cas d'elle.

Tout le propos de la pièce écrite par Marie-Ève Milot et Marie-Claude St-Laurent est là: l'exclusion de ces «poqués» de la vie, on ne la voit plus. Leur souffrance, on ne la ressent tout simplement pas.

Les deux auteures ont imaginé un personnage complètement loufoque qui travaille comme «Câlineur de la fonction publique». Son rôle: combattre l'isolement du corps en faisant des câlins. L'homme, qui mène une étude sur «la peur de toucher ou d'être touché», débarque ainsi dans un taudis où cohabitent quatre marginaux.

Le metteur en scène Stéphan Allard réussit à nous faire le portrait non linéaire de ces quatre drôles de moineaux qui habitent un appartement jonché d'objets épars. Parfaite métaphore de la cour à scrap, où s'entassent ces rebuts dont on n'a plus besoin, tel un dépotoir à ciel ouvert.

L'arrivée du câlineur, interprété par Nico Gagnon, attire bien sûr la méfiance de ses «sujets». Il sera même agressé par le «grand frère», «huitième d'une famille de sept» enfants. Mais peu à peu, les membres de cette famille reconstituée se confient au câlineur, trop heureux qu'on s'intéresse à eux.

Leurs histoires sont toutes réalistes: victimes de négligence, de violence ou d'inceste, l'une tente de se suicider, l'autre se prostitue, le garçon vend de la drogue, tandis que la plus âgée du groupe, brûlée par une friteuse, s'enfonce dans une dépression, accentuée par la mort de son mari. Bref, quatre vies sur la voie d'accotement.

Malgré certaines longueurs dans les monologues des personnages, les comédiens livrent tous une interprétation de haut vol, en particulier Marie-Ève Milot, qui exprime toute la fragilité, la colère et la paranoïa de sa «Notre-Dame». Le texte, «qui a le calvaire facile», comme le dit un des personnages à propos de sa mère, traduit bien la misère de ces gens, même si tous ces sacres contribuent à la caricaturer un peu.

Les auteures soulignent dans le programme qu'on est tous «à un pas d'être dans la rue». En d'autres termes, que notre vie peut basculer à tout moment. Elles n'ont pas tort, mais alors, pourquoi ce besoin de triturer la langue? Combien de personnes seules sont quand même instruites? Malgré cette petite réserve, il faut saluer le travail énorme de cette compagnie (Théâtre de l'Affamée), qui nous balance cette Cour à scrap en pleine gueule. Sans gants blancs. Un sujet d'une criante actualité, illustrant parfaitement cette individualité bien de notre temps, qui nous détruit en tant que société.

Au Théâtre Prospero jusqu'au 7 avril.