Le manque d'argent vu par l'humoriste Jérémie Larouche. Et sa fille de 8 ans.

Jérémie Larouche apparaît avec Daphnée, âgée de 8 ans. Elle n'est pas allée à l'école ce matin. « Je suis malade », explique-t-elle d'une voix étouffée, contredite par un regard malicieux qui montre qu'elle se porte déjà nettement mieux.

« J'en ai une de 13 ans, aussi », indique Jérémie Larouche.

Au moment de l'entretien, l'humoriste avait 31 ans. Faites la soustraction.

Son débit est rapide. Son sourire ne le quitte pas. Sa bonne humeur exsude, sans rien de forcé ou feint.

L'homme est tout simplement heureux.

Pourtant, son parcours n'a pas été facile - et ne l'est toujours pas.

« J'ai commencé par aller au cégep pour aller au cégep, en techniques d'intervention de loisir, relate-t-il. Parce que ma blonde étudiait là-dedans. »

Mais une surprise survient. « Après ma session, ma blonde est tombée enceinte. » Lui est tombé de haut. Il avait 18 ans. « J'ai lâché le cégep et j'ai travaillé pendant deux ans, pour ramasser de l'argent et fonder une famille. »

Ils s'installent dans le sous-sol de ses beaux-parents. « Pendant trois ans, on a mis de l'argent de côté. »

BÂTIR SON CRÉDIT AVANT SA MAISON

« À un moment, on a voulu acheter une maison. Parce que les maisons, dans ce temps-là, dans Pointe-aux-Trembles, coûtaient 60 000 $. »

Jérémie n'avait aucun historique de crédit. On ne leur autorise qu'un emprunt de 20 000 $. Il faudra attendre.

Sa belle-mère est alors intervenue.

« Elle m'a amené chez Brault et Martineau. Rendus là, elle m'a dit : "Il faut que je change mon lave-vaisselle, mais c'est toi qui vas me l'acheter." »

L'achat à tempérament est inscrit au nom de Jérémie.

« Elle m'a... Je lui... Enfin, on s'est acheté un lave-vaisselle encastré. C'est elle qui payait, mais moi, je me faisais un nom pour le crédit. »

Il demande de son côté une carte de crédit. « Après trois ans, on a réussi à faire une mise de fonds pour un condo, dans l'Est. »

Pour accueillir Daphnée, le couple achète en 2007 un petit cottage dans Pointe-aux-Trembles.

« On a rappé nos REER. »

Ils ont donc des REER !

« Oui, mais ça, c'est un drôle d'accident. »

Ils avaient encouragé un ami qui participait à un système de vente pyramidale de services financiers et ils ont ouvert des comptes REER avec lui. « Maintenant, il ne s'en occupe même plus et il dit lui-même que c'est de la m..., mais on est pris avec ces REER et on cotise le montant minimum. »

Ils ont depuis prudemment varié leurs investissements.

POUSSÉ PAR LES ENFANTS

Après Annie, ce fut au tour de Jérémie de faire ses études collégiales en lettres. Il s'inscrit ensuite à l'université en enseignement des arts dramatiques. Ce serait l'assurance d'une certaine sécurité, avec le loisir de tâter un peu d'humour à temps perdu.

« Mais quand arrive un deuxième enfant, tu te dis : es-tu vraiment en train de t'endetter avec un bac de quatre ans pour un plan B quand tu n'as jamais essayé le plan A ? » - Jérémie Larouche, humoriste

« Ma blonde m'a convaincu d'aller faire les auditions de l'École nationale de l'humour, et j'ai été accepté. »

Il en sort diplômé en 2010.

« Les gens prennent habituellement un chemin plus risqué et deviennent plus rangés quand ils ont des enfants. Moi, ce sont mes enfants qui m'ont obligé à prendre un chemin plus dangereux. »

Un doux regard vers Daphnée. « Ça donne une force de caractère, ces petites affaires-là », lance-t-il en riant, sous le regard attentif de la petite affaire.

HUMORISTE AUTONOME

« Ça fait maintenant trois ans que je gagne ma vie en étant uniquement travailleur autonome. »

Humoriste autonome et touche-à-tout : chroniqueur, animateur, formateur en impro, idéateur...

À l'automne 2015 et l'hiver 2015, il anime l'émission Les vendredis superhéros, à Télétoon.

« C'était la première fois de notre vie qu'on avait de l'argent. J'avais mon émission, ma blonde avait sa permanence à la Ville. On a peut-être fait 100 000 $ à deux ! C'était fou, on était dans la richesse absolue ! On n'a jamais eu ça, de l'argent, on a toujours été des étudiants cassés avec des enfants. Là, c'était : wow ! »

Mais ce « wow » n'a pas duré, son contrat chez Télétoon n'a pas été renouvelé.

Pour compliquer les choses, ils s'étaient résolus à se procurer une deuxième voiture, pour faciliter les nombreux déplacements de Jérémie.

« Il faut la payer, la maudite voiture. Des fois, il faut que tu fasses des paris, et ce pari-là, on l'a perdu. »

Ils pourraient toujours se rapprocher du métro.

« On n'a pas assez d'argent pour déménager », intervient Daphnée.

« Il y a aussi le fait que Noémie perdrait toutes ses amies, la relance son papa. Toi, tu n'as pas d'amies, pour toi, ce n'est pas grave. » Puis, un grand rire complice. « C'est pas vrai ! », ajoute-t-il, pour rassurer sa fille (ou le journaliste). Daphnée, imperturbable, connaît son père.

« On n'est pas pris à la gorge, mais là, on est dans une passe un peu plus difficile. Mais, ce n'est pas grave, dans le fond. On a choisi ensemble que c'est ce métier que je faisais. »

Il prépare plusieurs projets avec enthousiasme - un investissement en temps.

« Tant que je vais gagner ma vie en étant créatif, je vais être heureux. C'est une belle façon de voir la pauvreté ! » Un long rire.