Depuis un an, Clément Fortin, PDG du Consortium de recherche et d'innovation en aérospatiale au Québec (CRIAQ), s'est rendu dans les principaux pays émergents pour mettre en place des projets communs de recherche. La Chine, l'Inde et la Russie sont devenues en quelques années des acteurs de haut niveau. Dans ces pays, les entreprises québécoises trouvent des partenaires disposant de moyens considérables. M. Fortin nous fait part de ses découvertes.

Q - Qu'est-ce qui vous a marqué durant vos voyages dans les pays émergents?

R - J'ai été surpris par l'ampleur des investissements réalisés en Chine et par la rapidité avec laquelle ils implantent les changements. Je pense notamment au parc industriel de Shenyang, où Bombardier possède une usine de fabrication de turbopropulseurs Q400. En deux ans, les Chinois ont transformé un terrain vague en un immense site industriel consacré à l'aéronautique. Cela ne veut pas dire qu'ils maîtrisent tout. Mais ils sont très dynamiques dans leurs investissements.

Q - Qui est à l'origine de ce dynamisme?

R - Le gouvernement chinois est le premier à investir pour soutenir l'aéronautique. Durant sa dernière mission commerciale en Chine, à laquelle je participais, Jean Charest a rencontré le ministre des Sciences et de la Technologie. Celui-ci était prêt à investir 20 millions de dollars dans les trois mois pour créer un laboratoire commun, à condition que nous en fassions autant. Nous n'avons pas pu donner suite. Aucun gouvernement occidental ne peut aller aussi vite.

Q - La Chine est-elle mieux armée que l'Inde et la Russie?

R - Il est plus facile de faire des affaires en Inde qu'en Chine. Bombardier a déjà 600 personnes sous contrat là-bas, et a ouvert un centre de développement à Bangalore au printemps dernier. L'Inde a une culture d'influence britannique, avec un contexte d'affaires similaire au nôtre. Mais l'Inde bouge moins vite que la Chine. Quant à la Russie, l'industrie aéronautique y est structurée comme en Chine, avec un gouvernement qui a gardé la mainmise sur le secteur.

Q - Quels sont les atouts de ces trois pays?

R - Ils savent partager leurs efforts entre les activités militaires et commerciales. Les stratégies mises au point dans un but militaire ne sont pas contrôlées par l'Organisation mondiale du commerce (OMC), qui surveille les subventions aux secteurs industriels. Même si le secteur privé en bénéficie par la suite. Au Canada, nous n'avons pas cette complémentarité qui permet de concevoir des technologies d'avant-garde.

Q - Qu'attendent ces pays d'une collaboration avec le Québec?

R - Ils ont du savoir-faire en aéronautique, mais ils manquent d'expertise dans l'homologation des appareils. C'est leur plus grande barrière à l'entrée sur le marché mondial, car sans homologation, on ne peut pas vendre hors du marché local. Et on ne peut pas rentabiliser ses produits sur un seul marché national. Cela nous laisse une longueur d'avance de trois à cinq ans sur eux. C'est pour cela qu'ils veulent collaborer avec des entreprises comme Bombardier. Ils veulent apprendre.

Q - Est-ce un risque pour les entreprises québécoises?

R - Nous n'avons pas le choix de travailler avec eux, parce que cela nous ouvre leurs marchés. Mais il faut savoir préserver certaines choses. Et puis, leur main-d'oeuvre est encore formée à l'ancienne, et c'est un autre grand handicap. Leurs ingénieurs suivent des formations théoriques, comme on le faisait au Québec dans les années 1970. Ils étudient les sciences du génie, sans aborder le développement de produit. Quand ils arrivent en usine, cela prend plus de temps pour les amener à être pleinement opérationnels. Contrairement à eux, nous avons des écoles consacrées à l'aéronautique. Et nous avons modernisé nos façons de former les ingénieurs.