Il existe une tenace légende urbaine au Québec: les conjoints de fait, après trois ans de vie commune, ont les mêmes droits que les époux. Faux!

Le seul droit acquis est celui de demander au tribunal d'attribuer une pension alimentaire. Et rien n'oblige la cour à acquiescer à cette demande. De plus  ce droit pourrait disparaître puisqu'il est contesté devant la Cour Suprême. On attend le jugement cet automne. En attendant, ce sont les limbes juridiques. Contrairement au régime matrimonial, aucun droit concernant le patrimoine familial ne s'applique.

Le cas «Lola et Éric», qui est devant la Cour suprême du Canada, traite précisément de cette situation. On attend le jugement d'ici la fin de l'année.

Selon Me Marie-Claude Armstrong, avocate spécialisée en droit de la famille chez Lavery, de Billy, la vie des conjoints de fait serait infiniment plus simple s'ils avaient un contrat. «Et pas nécessairement un contrat de mariage. On peut très bien faire une convention d'union de fait sans un mariage en bonne et due forme. C'est un contrat parfaitement valide devant les tribunaux.»

Cette convention d'union de fait n'a pas besoin d'être notariée pour être valide. Elle a deux objectifs: d'abord, établir les droits et obligations des conjoints l'un envers l'autre pendant la durée de l'union; ensuite, établir le partage des biens en cas de rupture.

En l'absence de contrat, aucun tribunal ne reconnaîtra le moindre droit ou la moindre obligation d'un conjoint séparé envers l'autre, confirme Me Marie Annik Walsh, associée chez Dunton Rainville et présidente de l'Association des avocats et avocates en droit familial du Québec. La cour dira: «Vous étiez des adultes, vous avez décidé de ne pas vous marier, vivez avec les conséquences.»

Bref, si on laisse madame après 15 ans de vie commune, elle n'a strictement aucun recours. Pas d'obligation de pension alimentaire pour elle, pas de partage du patrimoine familial. Seuls les enfants peuvent bénéficier d'une obligation alimentaire.

Quatre clauses fondamentales

Selon les expertes consultées, une convention de vie commune devrait contenir au moins quatre clauses fondamentales. D'abord, l'inventaire des biens et des revenus de chacun, ainsi que les modalités de partage en cas de rupture. On met tout cela noir sur blanc dans le contrat, sans faire de cachettes. Deuxièmement, on doit préciser la façon de répartir les dépenses domestiques: chauffage, électricité, hypothèque, droits de scolarité, etc.

Troisièmement, la résidence familiale. Quelle proportion de celle-ci appartient à chacun? Et s'il y a rupture, qu'en advient-il? Passe-t-elle carrément entre les mains d'un des deux ex-conjoints? L'autre a-t-il un droit d'usage ou de rachat?

Finalement, il faut prévoir une clause de pension alimentaire pour dédommager celui ou celle qui aurait renoncé à son salaire pour s'occuper des enfants.

Couples asymétriques

En 2006, 34,6% des couples québécois vivaient en union de fait. Ces couples ont bien souvent des revenus très inégaux. «Et souvent, la conjointe est tenue dans l'ignorance de la véritable situation financière de son conjoint, ajoute Me Karen Kean-Jodoin, associée chez Robinson Sheppard Shapiro. Voilà pourquoi je recommande fortement qu'avant même d'écrire la convention, on procède à l'inventaire détaillé des biens et revenus des deux conjoints.»

Cela évite à madame de s'appauvrir en enrichissant monsieur, comme cela se voit trop souvent. «Que ce soit pour l'hypothèque, pour les travaux de rénovation domiciliaire ou pour envoyer les enfants aux études, on partage 50-50», rappelle Me Armstrong. Et si monsieur gagne quatre fois plus que madame? Est-ce équitable?

«Souvent, madame ne connaît pas le salaire de monsieur, déplore Me Armstrong. Et en l'absence d'une convention d'union de fait, ses recours sont très difficiles. Si, au contraire, il y a une convention et qu'on lui a caché la véritable situation financière de monsieur, elle peut invoquer l'article 1493.»

Cet article du Code civil stipule qu'une personne qui s'enrichit aux dépens d'une autre doit indemniser cette dernière. «On parle d'enrichissement injustifié, dit Me Armstrong. C'est le cas quand madame paie la moitié de tout avec son salaire quatre fois moindre que monsieur et qu'elle ne connaît pas la nature réelle de l'écart salarial. Elle s'appauvrit, tandis que monsieur fait de belles économies.»

Le tribunal peut donc reconnaître que la convention d'union de fait entre les deux ne prévoyait ni cet appauvrissement ni cet enrichissement. Il peut réviser la situation dans le sens d'une meilleure équité.