Métal et fusion vont de pair: la formation de gigantesques édifices transfrontaliers a marqué la dernière décennie dans l'industrie métallurgique. La patiente agrégation du sidérurgiste ArcelorMittal en a sans doute été l'exemple le plus éloquent.

Le premier acte avait été joué en 2002. Arcelor avait alors été créée par la fusion des sociétés Arbed, du Luxembourg, Aceralia, d'Espagne, et Usinor, de France.

En 2004, second acte: LNM Holdings et Ispat fusionnent, puis acquièrent International Steel Group, pour former Mittal Steel. Déjà, la transaction de 17,8 milliards change profondément le visage de l'industrie. Mittal devient le premier sidérurgiste mondial, devant Arcelor.

Mais ce n'était encore qu'un début.

Deux ans plus tard, en 2006, Mittal achète Arcelor pour 46 milliards de dollars! C'était, et de loin, la plus importante transaction de l'année dans le secteur de la métallurgie. Occupant le deuxième rang des transactions, Arcelor avait elle-même gobé la canadienne Dofasco pour 5,2 milliards, quelques mois plus tôt.

En 2007, c'est au tour de l'aluminium de tonner. Rio Tinto avale Alcan, pour la modique somme de 38 milliards de dollars US.

Les transactions ont chuté en 2008 et 2009 sous l'effet de la crise financière, mais ont repris à la hausse en 2010. En septembre dernier, les premier et troisième producteurs d'acier japonais, Nippon Steel et Sumitomo Metal Industries, ont annoncé leur fusion, pour prendre le deuxième rang à l'échelle mondiale, derrière ArcelorMittal.

«Il y a de grandes vagues d'intégration, et nous en subissons une, commente Marc-Urbain Proulx, économiste et professeur à l'Université du Québec à Chicoutimi. Les géants veulent se battre contre des géants et ils doivent continuer de grossir pour en avoir les moyens. Deuxièmement, ils croient qu'au cours des prochaines décennies, il y aura d'immenses profits à engranger, et ils font des acquisitions pour être compétitifs sur le marché avec les autres géants.»

Une plus grande taille augmente le pouvoir d'achat, constate pour sa part Nathalie Ladouceur, associée au groupe Services consultatifs transactionnels, chez Ernst&Young. «Ils sont aussi beaucoup plus intégrés au niveau de l'approvisionnement, dit-elle, ce qui permet de le sécuriser.»

Ondes de choc des géants

Cette course au gigantisme provoque des ondes de choc sur les terres régionales. Une fois acquise, une entreprise importante à l'échelle locale devient la filiale anonyme d'une multinationale. Les décisions capitales se prennent désormais à l'étranger. «Quand vient le temps de faire des investissements, la multinationale doit regarder où elle veut déployer ses ressources et son capital, décrit Nathalie Ladouceur. Il y a donc une sorte de compétition chez ses divisions. Localement, on doit faire valoir pourquoi il faudrait investir ici.»

L'impact s'exerce aussi à l'échelle nationale. Avant son acquisition par Rio Tinto, Alcan avait déjà ses entrées auprès du gouvernement, rappelle Marc-Urbain Proulx. «Mais maintenant, quand M. Albanese, chef de la direction de Rio Tinto, qui vaut sept ou huit fois ce qu'Alcan valait, dîne avec le premier ministre, ce n'est plus le même type de lobby. Ça rend nos États plus petits.»

Inconvénients et bénéfices

Mais pour l'instant, le Québec ne s'en tire pas trop mal. «Bien qu'on fasse partie de grands groupes, il y a quand même des investissements intéressants», fait valoir Nathalie Ladouceur. Alouette, Alcoa, Rio Tinto Alcan, Rio Tinto Fer et Titane ont toutes annoncé des investissements importants au cours des dernières années.

Bien sûr, les fusions et acquisitions entraînent souvent dans leur sillage leur cortège de rationalisations, de compressions, et de philosophies de gestion exogènes.

Cependant, les effets peuvent également être positifs.

Avec l'acquisition de Falconbridge en 2006, XStrata a mis la main sur la fonderie Horne à Rouyn-Noranda et la raffinerie de cuivre CCR à Montréal. «À l'interne, l'impact le plus important s'est exercé sur la santé et la sécurité des travailleurs, affirme Louis-Philippe Gariépy, directeur, affaires corporatives, chez Xstrata CCR. On a eu une amélioration générale des statistiques de l'ordre de 75 à 80%. La semaine dernière, on a annoncé à CCR l'atteinte de deux millions d'heures travaillées sans aucune blessure avec perte de temps. C'est du jamais vu en 80 ans d'histoire.»

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