Hydro-Québec s'est lancée dernièrement dans de nouveaux grands projets hydroélectriques en prévision de la hausse des besoins énergétiques des Québécois et pour exporter davantage.

Or, les nouveaux projets de centrales coûtent beaucoup plus cher que les précédents. Et en ce moment, le prix du gaz naturel est très bas, ce qui diminue le prix de l'hydroélectricité sur les marchés. Lorsque vient le temps de prédire si Hydro-Québec a opté pour une bonne stratégie, les experts ne s'entendent pas.

Pierre-Olivier Pineau, professeur spécialisé en politiques énergétiques à HEC Montréal

«J'ai beaucoup de mal à accepter les analyses qui disent que le prix du gaz naturel restera bas et qu'en raison des coûts élevés des nouveaux projets hydroélectriques, il n'y aura pas de marché pour notre hydroélectricité.»

Il remarque qu'en 2009, Hydro-Québec a réussi à exporter plus de kWh que lors des années précédentes. Même si les prix étaient plus bas, ce qui a affecté les profits, c'était en pleine crise économique. Pour lui, cela parle beaucoup.

Pierre-Olivier Pineau reconnaît qu'en ce moment, un projet comme la Romaine, au coût d'environ 8 cents le kWh, ne serait pas rentable sur le marché de l'exportation parce qu'Hydro-Québec vend sur les marchés de gros à environ 5 cents.

«Mais l'économie reprendra, les besoins aussi et des contraintes en matière d'émissions de gaz à effet de serre deviendront de plus en plus présentes. Cela fera en sorte que le coût de l'électricité remontera et un marché se créera à moyen et long terme pour l'hydroélectricité produite par des projets comme la Romaine. Il faut aussi regarder le développement local et la création d'emploi en région», affirme-t-il.

Pour ce qui est du prix du gaz naturel, le professeur Pineau croit qu'il remontera assez rapidement, ce qui aidera les exportations d'Hydro-Québec.

«On a atteint un creux historique, mais la demande reprendra avec la reprise économique. De plus, le nouveau gaz découvert, pris dans la roche de schisme, coûte plus cher à extraire, donc ça fera augmenter le prix. En demeurant conservateur, je crois que bientôt, le gaz naturel se vendra à 6-7$ le MMBtu.»

 

«À part Eastmain-1A dérivation Rupert, qui est probablement le dernier projet à faible coût, avec environ 5,5 cents le kilowattheure (kWh), les nouveaux projets sont maintenant plutôt autour de 10 cents le kWh, lorsqu'on inclut le transport et la distribution.»

Est-ce qu'il y a un marché pour exporter de façon rentable de l'hydroélectricité produite à 10 cents le kWh?

«Non, affirme-t-il. Le prix du gaz naturel a atteint des sommets en 2008, soit environ 10$ le MMBtu. Dans ce temps-là, c'était très rentable pour Hydro-Québec qui exportait en moyenne à 9 cents le kWh. Mais depuis, il y a eu la crise et de nouveaux dépôts de gaz ont été découverts. Le prix du gaz a beaucoup chuté en 2009. Il est même descendu en bas de 4$, puis il est remonté à 5$. Hydro-Québec a donc vendu son électricité à seulement 6 cents le kWh en moyenne l'an dernier», indique-t-il.

La grande question est donc de savoir si le prix du gaz naturel remontera ou demeurera faible. Jean-Thomas Bernard penche du côté de cette deuxième éventualité.

«Beaucoup de nouveaux gaz entrent sur le marché. Ces gaz de schiste, qu'on retrouve dans la vallée du Saint-Laurent jusqu'au Texas, et en Colombie-Britannique, sont présents en très grande quantité et même s'ils coûtent plus cher à extraire, ils feront énormément augmenter l'offre. Donc les prix resteront bas malgré la reprise.»

À long terme, personne ne peut faire de prédiction, mais aux yeux du professeur Bernard, la rentabilité d'un projet doit se faire dans les premières années suivant sa construction.

«Parce que les coûts sont actuels et dans 20 ans, le dollar d'aujourd'hui ne vaudra plus grand-chose.»

Une chose pourrait toutefois rendre ces nouveaux projets très rentables d'après Jean-Thomas Bernard: l'adoption d'une politique très agressive à l'égard des émissions de gaz à effet de serre aux États-Unis.

«Cinquante pour cent de leur électricité provient du charbon et si on retire cette énergie du marché, l'électricité y deviendrait très chère et on pourrait leur vendre de l'hydroélectricité à gros prix. Mais bon, il y a longtemps que les États-Unis auraient pu prendre cette initiative et ils ne l'ont pas fait.»

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«Il y a quelques années, Hydro-Québec n'avait aucun projet de construction et on assistait à une croissance de la demande d'énergie. On anticipait qu'Hydro-Québec serait serrée en approvisionnement. On a alors redémarré la roue de la réalisation de nouveaux projets. Il y a aussi eu la politique énergétique du gouvernement du Québec qui, pour la première fois, donnait clairement le mandat d'augmenter les exportations qui sont toujours très rentables.»

M. Brosseau croit que les nouvelles centrales permettront de répondre à la demande québécoise, de soutenir le développement économique et, bien sûr, d'augmenter les volumes disponibles pour l'exportation. Il ne s'inquiète pas de la rentabilité de ces nouveaux projets, comme la Romaine.

«C'est certain que c'est plus cher que ce qu'on a fait dans les années 60, mais nos centrales n'ont pas une durée de vie de 10 ans. On parle plutôt d'une centaine d'années. Pour justifier un investissement de 6 milliards, comme dans le cas de La Romaine, on ne prend pas notre décision en prenant une photo de l'économie actuelle. Nous devons avoir une vision à long terme. Nous sommes dans des cycles et en ce moment, le cycle est plus faible, mais nous réussissons malgré tout à tirer notre épingle du jeu», affirme M. Brosseau.

Puisque le prix de l'hydroélectricité suit celui du gaz naturel sur les marchés de gros, Hydro-Québec scrute avec attention les variations, mais la société d'État affirme ne pas s'en inquiéter.

«Ça fait partie des risques que l'entreprise doit gérer quotidiennement, précise M. Brosseau. Nous sommes confiants que les prix remonteront à court ou moyen terme. Nous ne croyons pas que nous allons atteindre les sommets de 2008, qui ont dépassé les 10$ le MMBtu, mais certainement les 7-8$, ce qui justifie largement des projets comme La Romaine qui nous donneront une production stable et fiable sur une très longue période de temps, et ce, malgré les changements technologiques.»

Et faut-il s'inquiéter de la découverte de nouveaux gisements de gaz de schisme? «Ils vont peut-être amener plus de stabilité sur les marchés», pense-t-il.

PHOTO FOURNIE PAR HYDRO-QUÉBEC