Des histoires de cession d'entreprise, il y en a une puis une autre. Mais des histoires comme celle derrière la Maison Carrier Besson sont plus rares. David Carrier, président de cette entreprise, raconte comment il a acheté le service de traiteur de ses parents, puis assuré une transition en douce en les gardant à ses côtés au sein de la nouvelle entité.

David Carrier venait à peine d'entamer la trentaine quand il a acheté le service traiteur de ses parents, l'entreprise Agnus Dei, en 2009.

Lui-même à la tête d'Avec plaisir, une autre entreprise du secteur, il voyait la fusion des deux PME comme un geste qui allait de soi.

Ses parents Pierre Carrier et Jacqueline Besson percevaient les choses du même oeil. Arrivés à la soixantaine, ils croyaient que le temps était venu pour eux de réduire leur charge de travail et de tendre le flambeau à l'un de leurs trois enfants.

Mais on ne cède pas son entreprise du jour au lendemain sans un peu de préparation. Pour assurer le bon mariage de la culture des deux entreprises, le trio s'est appuyé sur un plan de transition de cinq ans.

Une transition qui allait nécessiter la collaboration de chacun.

« Le comité consultatif de mon entreprise m'avait bien fait comprendre qu'il fallait que je laisse de la place à mes parents dans la nouvelle entreprise si je voulais que ça fonctionne, raconte David Carrier. Alors c'est ce qu'on a fait. »

Le plan prévoyait le transfert des pouvoirs en douce. Pierre Carrier restait aux commandes d'Agnus Dei pendant les trois premières années, alors que Jacqueline Besson continuait de se charger de tâches administratives et de gestion.

Mais même si les rôles et responsabilités de chacun avaient bien été couchés noir sur blanc, le plan n'a pas empêché certaines frictions entre le père et le fils.

« On était comme deux coqs dans la même basse-cour, raconte David Carrier. On s'entendait sur la vision, mais pas toujours sur les moyens à prendre pour la mettre en oeuvre. »

Pour dénouer les mésententes, les deux hommes d'affaires s'en sont remis à des collaborateurs, tous membres du comité consultatif de l'entreprise.

« Ils ne tranchaient jamais, explique David Carrier. Ils ne faisaient que nous donner leur avis, et c'était souvent tout ce que ça prenait pour que mon père et moi, on s'entende. »

Maintenant que la transition est achevée, les deux parents continuent de travailler quelques heures par semaine dans l'entreprise familiale. La mère consacre son temps à des aspects de logistique alors que le père se charge de relations d'affaires. Le tout à la plus grande satisfaction du fils.

« Conserver leur expertise dans l'entreprise m'a permis d'avancer avec confiance, explique le jeune président. Ça nous a permis d'aller vers l'avant en gardant un oeil derrière. »

Un service de traiteur nouveau genre

À 38 ans, David Carrier a encore plein de projets pour son entreprise.

En janvier dernier, il a regroupé les activités de celle-ci en un seul endroit, dans le quartier Pointe-Saint-Charles à Montréal. La décision permet maintenant à la PME d'augmenter sa capacité de production et d'envisager la vente de certains de ses produits dans les magasins d'alimentation.

Mais il y a une avenue encore plus intéressante qui attend la Maison Carrier Besson, selon lui. Le traiteur ouvrira bientôt un comptoir de vente, et offrira aussi un service de livraison en moins de deux heures.

« On veut changer l'idée que les gens se font du service de traiteur, explique David Carrier. Avec la flexibilité qu'on vient de se donner, ça devient possible. »

De grands changements pour ce traiteur, né entre autres d'une petite entreprise qui proposait des méchouis aux Québécois, à partir de 1986.

LE DÉFI

David Carrier achète l'entreprise de ses parents en 2009. Il lui fallait assurer une transition en douce.

LA SOLUTION

Pour y arriver, le jeune entrepreneur a tenu à garder ses parents au sein de l'entreprise. Six ans plus tard, ils y oeuvrent toujours.

LE PORTRAIT

Entreprises Maison Carrier Besson (regroupe notamment Agnus Dei et Avec plaisir)

Année de fondation : 2009 (année du regroupement des entreprises)

Nombre d'employés : 100

Président et propriétaire : David Carrier

Secteur : traiteur

Site web : https://www.agnusdei.ca/fr/a-propos/maison-carrier-besson/

Photo André Pichette, La Presse

David Carrier a acheté le service traiteur de ses parents.

BIEN SE PRÉPARER

Comment s'assurer que la cession d'une entreprise se fasse bien pour toutes les parties ? Éric Durand, directeur, transfert d'entreprise Banque Nationale, y va de ses conseils sur le sujet.

CLARIFIER LA SITUATION

Si la famille compte plusieurs successeurs potentiels, assurez-vous que chacun connaisse le rôle qu'il aura à jouer dans l'entreprise après le départ de ses fondateurs. Et le tout, le plus tôt possible, dit le spécialiste. « Le but, c'est d'éviter une querelle familiale qui pourrait nuire au futur de l'entreprise elle-même », dit-il.

PRÉPARER LA RELÈVE

Une fois le dauphin nommé, formez-le, indique Éric Durand. « On peut commencer par le faire travailler directement sur le plancher, dit-il. L'important, c'est qu'il ait une vue d'ensemble générale de l'entreprise le jour où il sera directeur général. » Sinon, assurez-vous de pallier certaines de ses faiblesses en lui demandant, par exemple, de parfaire sa formation universitaire, ajoute-t-il. « On peut aussi lui confier la gestion d'une branche de l'entreprise, dit-il. Ça va non seulement lui permettre de faire des erreurs, mais il pourra aussi établir sa crédibilité auprès des employés. »

REPENSER LE COMITÉ DE GESTION

Avant que le processus de transition ne soit enclenché, il faudra aussi penser à revoir la composition du comité de gestion, souligne l'expert. « On examine quelles sont les compétences de la relève, et on réaligne l'organisation en fonction de ses forces et de ses faiblesses. Si, par exemple, le fondateur est un ingénieur et que le fils est comptable de formation, il faudra intégrer quelqu'un de fort au niveau technique sur le comité. »

ASSEMBLER UN PLAN D'AFFAIRES

Pour que la transition soit un succès, l'entreprise doit coucher sur papier ce qu'elle entrevoit comme transformations en même temps que se fait le changement de pouvoir à sa tête. « Il faut se doter non seulement d'un plan d'affaires, mais aussi d'une structure financière capable de l'appuyer, indique Éric Durand. Le plan d'affaires devra jumeler à la fois la vision du jeune qui prend l'entreprise et celle de ses parents. »

PRÉVOIR UN PLAN DE TRANSITION

Une fois ces conditions réunies, c'est le moment de passer à l'action. Commence alors une période de cohabitation allant jusqu'à cinq ans. « Le cédant délaisse ses responsabilités progressivement jusqu'à céder tous ses pouvoirs, dit-il. L'important, c'est que le processus soit mis par écrit le plus possible. On se donne des cibles à atteindre dans le temps pour transférer les responsabilités, et on indique surtout une date où le processus doit être complété. »