Deux concurrents fusionnent. D'autres agences se vendent à de plus grands rivaux. Le détour de l'année 2012 allait réserver une surprise de taille à Mathieu Bélanger: le marché québécois du développement web se consolidait. Il lui faut alors passer à l'action.

Pour le président de K3 Média, une agence spécialisée dans la conception de sites web, il n'est toutefois pas question de céder à l'offre d'acquisition "sérieuse" qu'on vient de lui soumettre. Son entreprise allait croître, que ce soit par une acquisition ou une fusion.

«C'était déjà inclus dans notre planification stratégique», raconte Mathieu Bélanger, qui se donnait quelques années avant de passer à l'acte. Le climat économique a simplement accéléré le processus.

Progressivement, le mot se passe dans la communauté. Bientôt, un contact informe K3 Média que son concurrent Revolver 3 cherche un partenaire avec qui fusionner. L'occasion est belle. Revolver se spécialise dans la publicité et le marketing web. Une offre qui complète à merveille celle de K3 Média.

Mais avant de se marier, les entreprises doivent s'étudier. Une opération de diligence longue de près de trois mois et qui a sensiblement éprouvé Mathieu Bélanger.

«Ça bouffe énormément de temps, dit-il. Je roulais la boîte durant le jour, et le soir, je passais mon temps à lire des documents pour faire la «due diligence».»

Selon lui, le processus de négociation est très exigeant pour le dirigeant d'une PME. Pendant qu'il consacre du temps à l'opération, il réduit son implication dans le développement de son entreprise. Une situation qui la fragilise. «Plus ça s'étire, plus c'est dangereux», dit-il.

Fusion

Au terme de vérifications comptables, de prévisions de rendement et d'une entente sur la valeur des deux entreprises, les deux clans s'entendent finalement pour former une seule et même entité. Une union officialisée en mars dernier.

En moins d'un mois, les employés de Revolver 3 rejoignent leurs nouveaux collègues dans des bureaux devenus exigus du quartier du Vieux-Port de Montréal. Une intégration qui s'est, somme toute, bien déroulée, selon Mathieu Bélanger, qui appréhendait pourtant cette étape.

«Mes plus grandes craintes étaient au niveau humain, dit-il. On peut regarder les chiffres, prévoir qu'on va sûrement être déficitaire pendant deux ou trois mois, mais au niveau humain, c'est difficile de prévoir quels seront les problèmes.»

Au cours des mois qui suivent, l'équipe déménage dans un nouvel environnement plus spacieux. Ses dirigeants en profitent aussi pour donner un nouveau nom à leur entreprise. «On essaie de pousser les deux marques vers une nouvelle marque», explique Mathieu Bélanger, qui entend compléter la fusion d'ici décembre 2013.

Pour les mois qui viennent, il n'exclut pas de passer à nouveau à l'action et de miser sur une acquisition. «C'est dans les plans d'en faire une autre d'ici trois ans», dit-il. Son entreprise est d'ailleurs désormais perçue comme une acheteuse dans le secteur. «Avant, on nous faisait des offres d'achat, dit-il. Maintenant, on nous contacte pour savoir si on ne voudrait pas acheter.»

LE DÉFI

Le secteur québécois du développement web s'est engagé dans une consolidation au cours des derniers mois. Pour demeurer compétitive, l'agence K3 Média devait réagir. Fallait-il croître de l'intérieur, acheter... ou se faire acheter?

LA SOLUTION

Pour conserver sa place dans le paysage montréalais du web, K3 Média a opté pour une fusion avec l'agence Revolver 3. Grâce à l'offre complémentaire des deux entreprises, la nouvelle entité se repositionne avantageusement dans l'écosystème web québécois.

LE PORTRAIT

Entreprise: K3 Média et Revolver 3 Année de fondation: 2002

Nombre d'employés: 34

Président: Mathieu Bélanger

Cofondateurs et principaux investisseurs: Mathieu Bélanger, Serge Beauchemin, Stéphane Dumont

Secteur: Conception de sites web et marketing internet

Comment mener à bien une fusion d'entreprises

On ne fusionne pas deux PME tous les jours. À quels détails doit-on s'attarder lorsqu'on se lance dans une telle opération? Alexandre Baril, associé chez Deloitte et spécialiste en fusions et acquisitions, partage ses conseils en la matière.

1. Établir une liste de critères

«Les meilleures transactions sont celles où l'on se base sur des critères préétablis, dit Alexandre Baril. Il faut éviter d'être simplement réactif lorsqu'une occasion se présente.» La liste de ces critères concerne, entre autres, l'évaluation que l'on fait des entreprises, le mariage des cultures et l'avenir commercial d'une entité fusionnée potentielle. «Il faut revenir à ces critères pendant tout le processus de négociations», dit-il. Selon lui, si environ 75% de ceux-ci sont respectés, on a atteint son objectif.

2. Effectuer une revue diligente mutuelle

«Dans n'importe quelle transaction, il faut bien évaluer le projet, souligne le spécialiste en fusions et acquisitions. Et dans le contexte d'une fusion, les PME négligent souvent la revue diligente.» Selon lui, cet examen comptable doit être mutuel et concerne donc aussi la partie «qui se fait acheter» et qui deviendra copropriétaire de la nouvelle entité.

3. Préparer un plan d'intégration

«C'est un aspect souvent sous-estimé», dit Alexandre Baril. Selon lui, ce plan permet d'établir ce que deviendra la nouvelle entité. Il représente, d'une certaine façon, un plan d'affaires où seront listés les objectifs à court, à moyen et à long terme de l'entreprise fusionnée. Et attention! Il ne peut pas être imposé par l'une des deux parties: les deux groupes doivent être impliqués. «C'est ce qui va faire en sorte que le plan d'intégration va connaître du succès au jour 1», ajoute-t-il.

4. Suivre son instinct

Dans certains secteurs, comme celui des technologies, il est bien souvent difficile de s'entendre sur la valeur d'une entreprise, laquelle est souvent fondée davantage sur une anticipation que sur des revenus concrets. «C'est la plus grande barrière à la transaction», souligne Alexandre Baril. Selon lui, il faut alors s'en remettre à son pif. «L'instinct entre en jeu beaucoup plus dans ce genre de situation», dit-il. La qualité de l'équipe de direction de l'entreprise qu'on souhaite fusionner à la sienne occupera alors une plus grande importance.

5. Consacrer du temps

«Les meilleures transactions que j'ai vues sont celles qui ont pris du temps à se préparer», affirme le spécialiste de Deloitte. Selon lui, des négociations peuvent parfois durer jusqu'à un an. Un temps souvent nécessaire pour apprivoiser la façon de faire de l'autre entreprise, connaître ses dirigeants et se forger une opinion sur elle. «C'est comme ça que l'instinct se forme», ajoute-t-il.

6. Nommer un responsable

«Pour avoir une bonne intégration, il faut que chacune des parties ait identifié une personne, soit à l'interne, soit à l'externe, qui se consacrera à temps plein au projet, au moins pendant un certain temps, dit Alexandre Baril. Le problème, c'est que c'est souvent le dirigeant d'entreprise qui prend la responsabilité de l'intégration et il n'a souvent pas le temps de le faire.»