Même si personne à Québec solidaire (QS) ne se réjouit de la démission de Manon Massé à titre de co-porte-parole féminine, son départ arrive au bon moment. Le parti pourra relancer des débats devenus aussi délicats que nécessaires.

Partir est un art difficile, et Mme Massé a réussi. Elle donne le temps à ses collègues pour se lancer ce printemps et faire campagne au cours de l’été avant le vote au congrès en novembre. Et la transition est douce, car elle reste députée.

Sa successeure aura trois ans pour imprimer sa marque sur le parti et influencer la prochaine plateforme électorale.

Qui prendra le relais ? Ce n’est pas mardi que les prétendantes allaient se manifester. « C’est la journée de Manon », m’ont répondu les députées Ruba Ghazal (Mercier), Christine Labrie (Sherbrooke) et l’ex-députée Émilise Lessard-Therrien (Rouyn-Noranda–Témiscamingue).

Si elles font le saut, elles auront une longueur d’avance. Aucune autre n’égale leur expérience et leur notoriété.

Les élections de 2022 ont déçu. Le parti a seulement fait élire un député de plus. Et pour la première fois, QS a reculé dans le vote national (de 16,10 % à 15,43 %). Pire, le siège symbolique de Rouyn-Noranda a été perdu. Le parti reste en outre très montréalais – 9 de ses 12 députés viennent de l’île.

Selon le plus récent sondage Léger réalisé en mai, QS est premier chez les 18-34 ans (38 %), deuxième chez les 35-54 ans (18 %) et dernier chez les 55 ans et plus (5 %).

À la dernière campagne, la proposition de taxer la « fortune » à partir de 1 million de dollars trahissait une méconnaissance de la situation des retraités.

Pour percer en région, QS devra retourner toutes les pierres.

Par exemple, faut-il encore s’opposer au monopole de l’UPA en agriculture ? Peut-on se rapprocher des petits entrepreneurs, qui sont eux aussi souvent du « monde ordinaire » ?

Chez certains membres, la tentation de la pureté idéologique demeure. Mais d’autres doivent avoir envie de changer les choses ailleurs que dans leur tête.

À QS, les débats suivent habituellement la même dynamique : l’aile parlementaire défend une position qui tient compte des contraintes pratiques, des militants veulent aller plus loin puis les membres votent.

Avec une course, ce serait différent. Les visions s’entrechoqueraient à l’intérieur du caucus.

Le parti doit-il poursuivre son recentrage ? Se rapprocher des banlieues et des régions, des plus vieux et des petits entrepreneurs ? Mettre de côté les nationalisations périlleuses ? Et comment concilier la défense des minorités avec la protection de la langue ?

Les candidates pourraient ne pas s’entendre.

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Ruba Ghazal, députée de Mercier

Mme Ghazal était en faveur de l’ancien compromis Bouchard-Taylor sur le port de signes religieux avant que son parti ne le rejette en 2019. Réfugiée palestinienne née au Liban, elle disait alors se sentir affectée par les attaques contre les musulmans tout en comprenant un certain « malaise » des Québécois face à la religion.

Elle représente à la fois la diversité et le courant modérément nationaliste de QS. Porte-parole en matière de langue française, elle a joué un rôle important dans le vote solidaire en faveur de la réforme caquiste de la loi 101. Des militants n’ont pas apprécié.

Mme Ghazal aiderait à courtiser les nationalistes inclusifs, mais elle a le désavantage d’être la députée du Plateau Mont-Royal et la voisine de GND. Pas la meilleure carte de visite en région.

Mme Labrie a déjà occupé le rôle stratégique de leader parlementaire. Studieuse, elle peut être incisive sans monter le ton. Elle s’est démarquée comme critique de l’éducation.

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Christine Labrie, députée de Sherbrooke, sur le terrain pendant la dernière campagne électorale

Quand elle portait le dossier important chez QS de la condition féminine, un peu comme le faisait Françoise David, elle a su travailler en coulisses avec ses adversaires avec le comité non partisan sur les violences sexuelles. Ce dossier relève maintenant de Mme Ghazal.

Députée de Sherbrooke, Mme Labrie représente une ville universitaire, mais elle symbolise aussi une des rares percées hors de Montréal.

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Émilise Lessard-Therrien (à droite) et les cofondateurs de Québec solidaire Amir Khadir et Françoise David lors de l’assermentation des députés de Québec solidaire, le 19 octobre dernier

Pour trouver une voix rurale, toutefois, il faut chercher ailleurs. Le seul siège en région jamais gagné par le parti est celui que détenait Mme Lessard-Therrien. Mais elle n’a plus de siège, ce qui la prive de visibilité, et elle défendait des dossiers moins médiatisés. À 31 ans, elle est plus jeune que Gabriel Nadeau-Dubois.

C’est le dernier élément à considérer : l’équilibre entre les deux porte-parole. Françoise David incarnait une gauche plus communautaire et consensuelle tandis que Amir Khadir était impétueux et insoumis. Ils faisaient la paire.

GND essaie de populariser son approche d’intellectuel. Ex-leader étudiant, il est proche des jeunes. Mme Massé est issue comme Mme David du milieu communautaire, mais elle vient d’une famille nettement plus modeste. Mardi, elle retenait une larme en parlant des gens de sa circonscription qui sautent des repas et ce n’était pas du théâtre.

Cette émotion et cette approche terrain ne seront pas faciles à remplacer. Mais son départ permet d’ouvrir la réflexion pour trouver une personnalité complémentaire à celle de GND, et élargir la base encore modeste des électeurs solidaires.

Avec les péquistes en remontée et les libéraux qui lanceront eux aussi bientôt une course à la chefferie, les solidaires n’ont pas le choix de changer de vitesse.