Gabriel Nadeau-Dubois doit-il partir ? Non, répondent les militants à qui j’ai parlé. Cette semaine, j’ai passé de nombreuses heures au téléphone avec des solidaires. Aucun n’a souhaité son départ. Et pourtant, l’avenir du co-porte-parole reste menacé.

« C’est notre meilleur joueur. On aimerait le garder, mais il doit apprendre à écouter… »

Or, M. Nadeau-Dubois a plutôt choisi de jouer quitte ou double. Il renvoie la balle aux militants. Il leur demande d’appuyer sa « déclaration de Saguenay », qui propose de recentrer le parti et de simplifier ses propositions pour conquérir les régions et les électeurs moins à gauche.

Qu’arrivera-t-il si les délégués rejettent le cœur du texte lors du Conseil national cette fin de semaine ? Il entretient un flou qui dérange.

« Je suis d’accord avec pas mal tout ce qui est écrit dans le document, avoue un ancien candidat. Et pourtant, je suis fâché. Je veux un co-porte-parole qui nous mobilise. Pas du chantage. »

« La déclaration de Saguenay, ça ne devrait pas être un vote de confiance ! s’étonne une autre ancienne candidate. En ramenant l’enjeu à lui, il aggrave le problème. »

Oubliez les termes « pragmatique », « rêveur », « réaliste », « pelleteux de nuages » et les autres clichés habituels. La crise qui secoue le parti est plus subtile et profonde.

M. Nadeau-Dubois veut sortir son parti de l’opposition éternelle pour le rapprocher du pouvoir. Plusieurs militants sont sceptiques. Ils craignent que le co-porte-parole éloigne le parti de ses membres pour le rapprocher de l’aile parlementaire.

La tension n’est pas nouvelle.

Elle a commencé après la campagne de 2022. Québec solidaire (QS) avait le plus gros budget et la meilleure équipe de son histoire. Le parti a gagné un député, mais a perdu 15 000 votes. Sa députation comptait presque deux fois plus d’hommes que de femmes. Et dans 83 % des circonscriptions rurales, ses appuis ont décliné.

C’était le premier acte de la crise.

Le deuxième fut la publication de l’essai de Catherine Dorion, qui écorche GND et son entourage. L’autrice polarisante aime les postures rebelles. Le conflit a été personnalisé. Mais sur le fond, les critiques de Mme Dorion étaient partagées par plusieurs militants de bonne foi.

Le troisième acte s’est déroulé en avril avec la démission d’Émilise Lessard-Therrien, à peine cinq mois après son élection comme co-porte-parole féminine. D’autres femmes l’ont imitée peu après en claquant la porte du parti.

Selon ces mécontents, QS se « professionnalise » et se personnalise autour de son co-porte-parole masculin. Et perd lentement son âme.

Les communications sont centrées sur le chef. Son image est propre et lisse. « Mais les chefs qui plaisent en ce moment, ce sont ceux qui sont perçus comme étant plus authentiques », rappelle un ancien conseiller.

Des débats de fond sont vite tranchés en coulisses. Un militant donne l’exemple de Facebook. L’année dernière, les caquistes et péquistes ont boycotté la publicité sur ce réseau social. Surprise, les solidaires n’ont pas suivi. « Si on n’est même pas capable de tenir tête comme les autres à une multinationale, à quoi on sert ? »

Cette position n’avait pas été soumise à un débat aux membres. Mme Lessard-Therrien avait exprimé sa dissension. Elle a dû se rallier.

De tels compromis sont normaux dans un parti. Mais Québec solidaire était censé être une formation décentralisée et redevable à ses membres. Et féministe aussi.

La nouvelle co-porte-parole n’a jamais eu la visibilité souhaitée. C’est en partie normal. Elle habitait le Témiscamingue et elle n’était pas députée. Son adversaire Ruba Ghazal avait d’ailleurs souligné ce risque durant la course. En déficit, QS manquait d’argent pour lui adjoindre des employés. Non élue, elle n’avait pas le droit de profiter des ressources parlementaires auxquelles Manon Massé et GND avaient accès.

N’empêche que cela n’explique pas tout. L’arrivée de Mme Lessard-Therrien était une rare chance de percer en région. Or, quand RDI a organisé un débat sur l’immigration, c’est M. Nadeau-Dubois qui a été envoyé.

À l’interne, cette image circulait…

IMAGE FOURNIE

Un mème reprenant une scène de l’émission américaine The Office. On peut y lire « L’entreprise vous demande de trouver la différence entre cette image et celle-ci. — C’est la même image. »

En interview à la Première chaîne, Mme Lessard-Therrien a avoué que la campagne de 2022 avait été mauvaise. L’attaché de presse qui lui était assigné – qui travaille aussi avec GND – lui a reproché d’avoir tenu des propos démobilisants. C’était pourtant une évidence, déjà formulée par d’autres députés.

Il est vrai que la co-porte-parole a abandonné très vite. Le parti n’a pas eu le temps de lui proposer son nouveau plan pour l’aider.

Mais cela ne change rien au problème qui existait avant son départ, et qui perdure.

Deux jours après la démission de Mme Lessard-Therrien, GND a repris l’initiative. Il a déplacé l’attention vers une autre question : comment transformer QS en « parti de gouvernement » ?

Cette réflexion était en marche depuis quelques mois. Après la déception électorale, QS avait entamé une tournée des régions.

On aurait toutefois pu s’attendre à ce que le diagnostic soit présenté aux membres. Mais M. Nadeau-Dubois passe tout de suite aux solutions avec sa « déclaration de Saguenay ». Elle vise à simplifier et recentrer, au moins un peu, l’offre du parti. Le détail viendrait bientôt. Selon le calendrier proposé, le programme sera réécrit à l’automne 2025, et la plateforme pour la prochaine campagne sera adoptée au printemps 2026.

Les militants se sentent bousculés. « On aurait aimé qu’il présente sa vision durant la course au porte-parolat, l’automne dernier. Il en parle après, sur un ton proche de l’ultimatum… »

Une voie de passage se dessine malgré tout. À Saguenay, des amendements seront présentés pour prendre plus de temps. Ce compromis pourrait rallier les mécontents sans rejeter la vision de M. Nadeau-Dubois.

Car pour la suite, le co-porte-parole aura de bons arguments à faire valoir.

Le virage souhaité par le co-porte-parole se situe à deux niveaux. Il veut une plateforme susceptible de le porter au pouvoir. Et il veut aussi pouvoir l’appliquer.

Sur le premier aspect, le débat s’annonce interminable.

Un clan à QS défend un populisme de gauche. Il se réclame du peuple. Pourquoi ne gagne-t-il pas ? Parce que les élites médiatiques et économiques l’aliènent, et parce que le mouvement populaire n’a pas été mis en marche. Il faut partout semer l’espoir et la révolte.

Un autre camp constate au contraire que des électeurs se méfient de QS en toute lucidité. Avec eux, la pédagogie ne suffira pas. Il faut accepter certains compromis idéologiques. Mieux vaut être au pouvoir et appliquer 70 % de son programme que de le vanter à 100 % dans l’opposition. Cela ressemble à la campagne au porte-parolat de Christine Labrie, qui avouait que des engagements environnementaux de QS avaient créé un effet de « répulsion ».

Mais jusqu’où aller pour rejoindre les électeurs ?

« Si on ressemble trop à une imitation du PQ, c’est risqué. Les gens préféreront la version originale », craint un militant de longue date de QS.

Ceux plus à gauche ne veulent pas perdre le seul véhicule qui diffuse leurs idées. Mais il y a un autre sens à donner au « pragmatisme ».

Quand un parti est sur le point de prendre le pouvoir, il forme un comité de transition. Il décide quels engagements réaliser, comment et dans quel ordre. QS n’a jamais fait cet exercice. On ignore par exemple qui négocierait une nationalisation, à quel prix, avec quel échéancier et avec quelles conséquences sur le reste de l’économie.

En ce sens, le « pragmatisme » de M. Nadeau-Dubois n’équivaut pas à sacrifier ses idéaux. C’est une méthode pour les convertir en programme applicable de gouvernement.

Cette approche est compatible avec une vision transformatrice de la société. Le logement est un bon exemple. Les réformettes, comme un registre des loyers, auraient un impact limité. La gauche préfère un plan complet qui règle le mal à la racine, en attaquant la spéculation immobilière et en développant un autre modèle à but non lucratif. Et c’est justement parce que le changement est majeur qu’il requiert un plan concret, chiffré et applicable.

Mais le débat a pris une tournure inquiétante pour QS dans les dernières semaines.

« La déclaration de Saguenay parle de rassembler, mais je vois surtout autour de moi des clans émerger. Et je ne sais même plus moi-même dans quel clan je suis… », lance un autre ancien candidat qui, comme plusieurs autres militants, ne peut pas faire le voyage à Jonquière.

Ce qui nous ramène au point de départ. Même si la tension est vive, elle pourrait aussi vite baisser. À condition qu’un signal d’écoute soit donné.