Robert Pickton, un des plus grands psychopathes canadiens, est entre la vie et la mort, victime d’un autre sans cœur qui purgeait aussi une peine à Port-Cartier. Sans en être le sujet principal, cet évènement m’a donné envie de faire une chronique sur le caractère tout aussi psychopathe de l’humanité.

Oui, nous sommes collectivement des tueurs en série. La preuve, en cette sixième extinction de masse en cours, partout sur la planète, les espèces disparaissent à cause des dérives consuméristes de l’humanité. Je reprends ici la thèse défendue par le neuroscientifique Sébastien Bohler dans son bouquin intitulé Human psycho : comment l’humanité est devenue l’espèce la plus dangereuse de la planète.

Mais je vous rassure avant de poursuivre. Il n’accuse pas les humains individuellement, mais plutôt l’humanité en tant que superorganisme semblable à une colonie d’insectes sociaux. Dans une colonie de fourmis, d’abeilles mellifères ou de termites, tous les individus proviennent de la même reine.

Aussi, même si les membres de cette grande famille ont leur propre identité, ils font partie de quelque chose de plus grand qu’eux, un superorganisme. Nous devons cette dénomination à l’entomologiste américain William Morton Wheeler, qui l’a popularisée en 1911 pour décrire les colonies de fourmis. Dans un tel composite hiérarchisé, les individus sont unis par des liens génétiques, mais aussi par un système de communication et de partage très complexe.

De la même façon, le réseau de communication qui unit les 8 milliards de personnes constitutives de notre superorganisme est hautement sophistiqué. À ces premiers liens, dit Bohler, il faut ajouter les transports par voie maritime, terrestres et aériens. Des échanges qui favorisent un maillage économique administré par un nombre incommensurable de traités et de textes juridiques. Un système devenu si complexe et gigantesque qu’il échappe à un individu pris au hasard dans notre colonie.

Ce superorganisme, dit l’auteur, est une entité aussi puissante qu’inconsciente qui creuse le gouffre dans lequel il s’engouffre. Nous sommes tous membres de cette entité psychopathique qui laisse beaucoup de cadavres sur son sillage.

Je précise encore. Ce que dit Sébastien Bohler, c’est qu’individuellement, nous sommes très majoritairement des êtres empathiques, mais lorsqu’on prend le superorganisme que représente la population mondiale, les critères de définition du psychopathe s’appliquent à l’humanité. Le psychisme des psychopathes, dit-il, est armé de quatre lance-flammes : « un ego démesuré, une incroyable aptitude à manipuler les autres, une absence totale d’empathie et une tendance à agir de façon instantanée et sans tenir compte des conséquences ».

Pas besoin d’être un spécialiste pour réaliser que, sans empathie pour une certaine biodiversité, l’humanité à l’ego surdimensionné est en train de décimer la biosphère en s’admirant dans le miroir. Ce qui, il faut le reconnaître, n’est pas très loin de ce que Robert Pickton a fait à ses nombreuses victimes. Les humains ont hissé leurs sentiments au rang de culte et érigé une muraille entre eux et le reste de la création.

Cet éloge de sa singularité dominante a permis à notre espèce de s’octroyer un droit de propriété sur le vivant avec la bénédiction des religions monothéistes.

Pour comprendre pourquoi ce bipède croit que la planète lui appartient, il faut retourner au livre des psaumes où on parle de lui en ces termes : « Tu l’as fait de peu inférieur à Dieu, Et tu l’as couronné de gloire et de magnificence. Tu lui as donné la domination sur les œuvres de tes mains, Tu as tout mis sous ses pieds, Les brebis comme les bœufs, Et les animaux des champs, Les oiseaux du ciel et les poissons de la mer, Tout ce qui parcourt les sentiers des mers. »

Si on analyse ce passage avec les yeux d’un biologiste de l’évolution, il dit grosso modo que la nature a fignolé la biodiversité pendant plus de 3,5 milliards d’années pour les seuls besoins et désirs de ce bipède qui aurait proche de 300 000 ans d’âge. Tout ça a été organisé en attendant l’arrivée du prince de la création. Pas surprenant alors que dans un passage du Discours de la méthode, Descartes salue cet homme nouveau qui sera aussi appelé à devenir maître et possesseur de la nature.

Armé de cette puissante caution morale et de son empathie à géométrie variable, l’humain s’est attribué un droit de vie et de mort sur la biodiversité. Plus une espèce est loin de nous phylogénétiquement, plus notre empathie s’éteint devant ses souffrances.

Pas de pitié pour la flore qui végète et encore moins pour les dites mauvaises herbes. Quand l’humain parle de vermine, de bibites, de microbes, de cervelle d’oiseau, de tête de linotte ou de bêtes sauvages, le mépris n’est jamais loin.

Cette génétique de déshumanisation qui nous autorise à massacrer une certaine biodiversité n’est pas loin de ce qui se passait dans le cerveau de Robert Pickton. Les neurones miroirs de ce psychopathe ne s’allumaient pas pendant qu’il profanait les cadavres de ses victimes.

La culture de l’autopromotion et de l’autogratification de l’espèce humaine, dit Bohler, est des plus néfastes de la biosphère. Notre science, nos religions, notre philosophie et notre humanisme sont autant de lieux de célébration de ce nombrilisme, délétère. Maintenant, comment empêcher l’humanité de tout détruire ? La meilleure façon de protéger une population d’un psychopathe, dit l’auteur, c’est de l’enfermer.

D’ailleurs, quelques semaines de réclusion forcée de l’humanité pendant la pandémie de COVID-19 ont suffi à montrer l’efficacité de la méthode sur le potentiel de guérison et de réparation des écosystèmes. Aux quatre coins du monde, pendant que les humains se sont enfermés, le ciel, les eaux et les animaux ont donné des signes d’espoir.

Malheureusement, ce grand virage ne peut se faire sans entamer nos libertés et bousculer notre dépendance au confort et au consumérisme. Un des faits les plus marquants et plus certains de notre époque, dit Bohler, c’est que nous vivons les dernières décennies des libertés individuelles. Quel que soit le cas de figure à venir, ce modèle civilisationnel va prendre fin. De gré ou de force.

Soit les démocraties occidentales se cramponnent à cet idéal, auquel cas les humains continueront à consommer toujours plus et la planète deviendra inhabitable. On a beau fermer les yeux, les signes avant-coureurs de notre marche vers la destruction de la biosphère sont partout présents. Soit, comme on l’a fait avec Robert Pickton, il est peut-être temps de confiner géographiquement, économiquement et démographiquement notre espèce qui est devenue son propre prédateur.