J’ai écarquillé les yeux en lisant la nouvelle, mercredi matin : hein, trois morts dans une bagarre à coups de couteau, sur le Plateau ?

J’ai lu attentivement. Pas d’erreur : trois jeunes ont été tués dans un conflit qui a dégénéré. Le plus fou, ai-je pensé, c’est que le chef de la police de Montréal avait commenté quelques heures plus tôt les quatre meurtres en une semaine sur le territoire du SPVM…

Et là, trois de plus.

Dans le Plateau, ce serait un conflit stupide, selon le père de l’un des hommes morts poignardés. Un malentendu, il est question d’une affaire de cœur. Toujours est-il que deux groupes se sont donné rendez-vous dans la ruelle, ils étaient une quinzaine, quelqu’un a sorti un couteau, d’autres couteaux ont été brandis…

En dix jours à Montréal, donc, sept morts.

Ça fait des manchettes assez effrayantes, ça envoie le signal que Montréal n’est pas une ville sûre. Le chef de la police Fady Dagher a dû répondre à des questions, envoyer des signaux rassurants.

Même le ministre de la Sécurité publique, François Bonnardel, a été questionné à l’Assemblée nationale. Il a dû affirmer sa confiance dans la police de Montréal et reconnaître que c’est une semaine « difficile » pour Montréal1.

Montréal est souvent le décor de guerres de gangs qui se tirent dessus en pleine rue. Des motards, des sympathisants de motards, des mafieux, des proches de mafieux qui se font tirer dessus en roulant en voiture, en sortant de leur voiture, au restaurant, en sortant du gym, du coiffeur, en arrivant dans leur entrée de garage…

Là-dessus, la police peut agir. La police peut faire des frappes, passer des messages pour calmer le jeu, déjouer des complots de meurtre, saisir des armes.

Et avec le crime organisé – même le crime désorganisé –, il y a des indices annonciateurs, des leviers sur lesquels les flics peuvent appuyer pour prévenir des fusillades, pour prévenir des meurtres.

D’ailleurs, la violence armée liée aux bandits organisés – et désorganisés – est en baisse. Probablement que les frappes policières des dernières années ont fonctionné. Probablement que les bandits se calment parce que les policiers les talonnent.

Mais quand nous regardons de plus près la nature des sept meurtres survenus à Montréal entre le 12 et le 21 mai…

Le 12 mai, un sans-abri a été retrouvé battu à mort dans une ruelle du Plateau.

Le 14 mai, un jeune rappeur lié à des gangs de rue a péri par balle près du Marché Central.

Le 18 mai, une femme a été tuée dans ce qui a tout l’air d’un féminicide, apparemment par son ex-conjoint.

Le même jour, dans le Sud-Ouest, un homme de 27 ans a été poignardé dans une chicane avec des voisins.

Puis, mardi, cette rixe sanglante, trois morts dans des attaques au couteau sur le Plateau.

Ça frappe l’imaginaire, sept meurtres en dix jours, mais il n’y a pas de lien direct entre les sept évènements. On a déjà vu des bandits se faire passer en vrac en quelques heures ou en quelques jours, et on peut alors penser à un lien entre ces évènements…

Quand des jeunes membres de groupes criminels (ou pas) ont commencé à se tirer dessus en pleine rue, des ministres ont été interpellés, des escouades ont été créées et des frappes ciblées ont commencé. Là, on a demandé (avec raison) aux pouvoirs publics de passer à l’action, et ce fut fait, avec un certain succès.

Mais quel lien y a-t-il entre le meurtre d’un sans-abri, un féminicide présumé et le meurtre d’un rappeur lié à des gangs ?

Je n’en vois pas.

Je comprends qu’on pose des questions à des chefs de police et à des ministres pour leur demander ce qu’ils comptent-faire-pour-enrayer-la-violence. Mais je ne vois pas comment cette vague de violence particulière aurait pu être endiguée.

Il y a plus de meurtres (16) depuis le début de l’année qu’à pareille date en 2023 (9). Mais ça ne veut rien dire, il reste sept mois à 2024, il est trop tôt pour tirer quelque conclusion.

Alors que se passe-t-il ?

J’ai parfois l’impression que toute la ville est prête à se battre pour un oui ou pour un non.

Est-ce juste une impression ? Les statistiques forment une sorte de socle à l’air du temps : entre 2014 et 2023, le nombre des voies de fait rapportées au SPVM a doublé2.

La population de Montréal n’a pourtant pas doublé pendant cette décennie 2014-2023. Mais les voies de fait – bagarres, agressions – ont doublé pendant cette période. En 2023, le SPVM recevait quotidiennement 50 plaintes de voies de fait.

Les crimes violents sont d’ailleurs en hausse partout au pays3. Il y a plus de policiers tués en service, de citoyens attaqués par des inconnus4.

Pourquoi ?

Je n’ai pas vu d’explication claire et limpide qui démontre pourquoi, en dix ans, les voies de fait ont doublé dans cette ville. Je n’ai pas vu d’explication claire et limpide qui démontre pourquoi, depuis quelques années, les crimes violents sont en hausse au Canada.

La pandémie ? Je trouve qu’elle a le dos large, mais OK, admettons que ce soit le cas. La violence verbale des réseaux sociaux, qui polluerait nos comportements dans le réel ? Peut-être.

L’économie qui ne fait de cadeaux à personne, qui met tellement de nos concitoyens sous pression ? Faut voir.

La prolifération de malades psychiatriques dans nos rues, ce qui mène à des agressions aléatoires ? Assurément.

Mais ces crimes-là, ces statistiques-là confirment quelque chose de lancinant qui traîne dans le fond de l’air depuis quelques années : le monde ne va pas bien.

1. Lisez un article de Radio-Canada 2. Lisez « Île de Montréal : moins de violence armée, mais plus de crimes » 3. Lisez un article de Radio-Canada 4. Lisez un article du National Post (en anglais)