Dévasté, le père d’une victime de la bagarre ayant coûté la vie à un adolescent et deux jeunes hommes sur le Plateau-Mont-Royal déplore qu’une simple dispute ait pu dégénérer de telle façon. Le drame, un évènement « fortuit » et « aucunement relié au crime organisé », selon la police, fait bondir à sept le nombre de meurtres ayant eu lieu dans la métropole en dix jours.

« C’est dur, vraiment, pour trois familles différentes. Les jeunes ne peuvent pas s’entendre. S’il y a un problème, au lieu de sortir un couteau ou un pistolet, essayez de parler entre vous, essayez de trouver une solution positive », a déclaré Jean-Marie Célestin, mercredi, avant d’éclater en sanglots.

Dans le stationnement du complexe d’habitations à loyer modique où son fils, Ulrick Peterson Célestin, 25 ans, a perdu la vie moins de 24 heures plus tôt, le père de cinq enfants s’est souvenu d’un « gars bien gentil, honnête », mais qui avait le défaut de s’énerver « trop facilement ». « Des fois, il disait avec sa bouche des mots piquants ».

Le jeune homme, qui était père d’une fillette de 2 ans, traînait des dossiers criminels en matière de non-respect d’ordonnance et de possession de substances illicites, mais n’était « aucunement » relié au crime organisé, selon son père, bien qu’il partage le même nom de famille qu’un caïd connu à Montréal.

Selon le récit qu’on lui a fait de la scène et des vidéos qu’il a vues, Jean-Marie Célestin explique que son fils et ses amis auraient entamé une discussion houleuse avec d’autres jeunes qui se trouvaient sur place.

PHOTO FOURNIE PAR UN TÉMOIN

Le rassemblement de jeunes tel que capté par un témoin de la scène, quelques minutes avant qu’il ne dégénère en triple meurtre.

Lorsqu’il se serait tourné pour s’éloigner, Ulrick Peterson Célestin aurait été poignardé au niveau du cou par un adolescent de 15 ans connu des services policiers. L’arme utilisée a été comparée à un couteau de chasse par plusieurs témoins de la scène, qui s’est déroulée dans une ruelle près de l’intersection des rues de Mentana et Rachel Est.

Furieux, son ami de 23 ans, Alexandre Vatamanu, s’en serait ensuite pris à l’adolescent, qui est mort, avant d’être lui aussi poignardé mortellement par les amis de ce dernier.

« Appelez la police, appelez la police ! »

Les policiers ont été appelés à intervenir sur les lieux vers 19 h après avoir reçu plusieurs appels par le biais du 9-1-1.

Sur place, les agents ont localisé les trois hommes âgés de 15 ans, 23 ans et 25 ans. Ils ont été transportés à l’hôpital dans un état critique, avant de succomber à leurs blessures.

« Ils étaient plus d’une dizaine de jeunes, puis tout d’un coup ça s’est mis à crier : “Appelez la police, appelez la police !” », a raconté un voisin de la scène rencontré sur place mercredi matin. « Il y avait quelqu’un d’étendu ici qu’ils essayaient de soigner, puis un autre corps, juste là. Ils étaient couverts de sang », a-t-il ajouté en pointant un véhicule non loin de l’entrée du stationnement où se sont produits les faits.

À cet endroit, une flaque teintée de rouge pouvait toujours être aperçue au lendemain du drame. Au passage de La Presse, un véhicule de la Ville de Montréal travaillait à la disperser en l’aspergeant d’eau.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

L’évènement avait marqué le voisinage de l’endroit où Ulrick Peterson Célestin avait grandi, avec sa famille. « C’est des enfants que j’ai vu grandir et veut, veut pas, tu t’attaches. Je trouve ça ben triste de savoir qu’il est parti, de savoir que sa petite fille de 2 ans va grandir sans père », a témoigné la présidente du comité des locataires, Ginette Hébert, la gorge nouée.

« Aucunement relié au crime organisé »

« Il s’agit d’un évènement fortuit qui n’est aucunement relié au crime organisé », a résumé en point de presse Jean-Sébastien Caron, commandant de la Section des crimes majeurs au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Jean-Sébastien Caron, commandant de la Section des crimes majeurs au SPVM

Le conflit a impliqué jusqu’à une quinzaine de personnes, selon lui. Les autorités ont interpellé des suspects à l’heure actuelle et visionnent les caméras de surveillance afin d’éclaircir les circonstances de l’évènement.

Il a toutefois insisté sur la diminution de la violence armée dans la métropole. Les récents homicides survenus à Montréal sont tous survenus dans des circonstances différentes.

On parle d’un conflit personnel, on ne parle pas d’un conflit de territoire ou de gang.

Jean-Sébastien Caron, commandant de la Section des crimes majeurs au SPVM

Le commandant a admis qu’il est « préoccupant » de voir autant de meurtres en aussi peu de temps.

Un poste de commandement est actuellement érigé dans la rue Rachel, qui est demeurée fermée dans les deux directions entre l’avenue Christophe-Colomb et la rue Saint-André.

Trois victimes

Ces trois meurtres sont les 14e, 15e et 16e à avoir été commis dans la métropole depuis le début de l’année, a confirmé le SPVM, une hausse marquée depuis le 12 mai. Seulement depuis cette date, sept meurtres ont été enregistrés sur le territoire du corps policier.

À l’hôtel de ville de Montréal, l’administration Plante se dit attristée par cette série noire. Elle souligne toutefois que la violence armée demeure en diminution marquée à Montréal.

« C’est un drame humain qu’il ne faut pas minimiser, c’est horrible. C’est toujours préoccupant quand ces événements-là arrivent, surtout qu’on en a eu sept en dix jours », a dit Alain Vaillancourt, l’élu responsable de la sécurité publique au comité exécutif.

« Il y a quand même des résultats si on parle de violence armée. Là, on voit une recrudescence au niveau des armes blanches », a-t-il continué. « Ce n’est pas la même chose » que pendant la flambée de fusillades de 2021.

En comparaison, à pareille date l’an dernier, neuf homicides avaient été commis à Montréal.

Questionné à ce sujet mardi, alors que le triple meurtre n’était pas encore survenu, le directeur du SPVM, Fady Dagher, a reconnu que quatre meurtres, « c’est beaucoup ».

« On a plus de meurtres, à l’heure actuelle, qu’au même mois l’année dernière. Toutefois, sur le plan de la violence armée, on est encore en baisse », avait-il assuré à La Presse en entrevue téléphonique. Les meurtres « sont vraiment distincts les uns des autres, mais monsieur et madame Tout-le-Monde qui voient ça dans les médias, ils se disent : “Qu’est-ce qui se passe à Montréal ?” ».

« Honnêtement, sur le plan de la violence armée liée au crime organisé, on est en baisse encore », avait ajouté le chef de police.

Avec la collaboration de Daniel Renaud et de Philippe Teisceira-Lessard, La Presse

Sept meurtres en dix jours

12 mai

Vincent Bibeau-Olaechaea, 33 ans, un sans-abri au lourd casier judiciaire, est battu à mort dans une ruelle du Mile End. Jayden Coon-Come, 22 ans, a été accusé du meurtre le lendemain.

14 mai

Jean Vilsaint, rappeur et dirigeant de gangs de rue de 27 ans, est abattu près de l’intersection de l’avenue du Parc et de la rue Legendre, dans Ahuntsic-Cartierville.

18 mai

Patrick Conor O’Loughlin, 27 ans, est poignardé à mort dans un logement du Sud-Ouest durant ce qui pourrait être une querelle entre voisins qui a mal tourné. Chad et Jayden Pinel, 18 ans et 20 ans, ont été accusés du meurtre.

Le même jour, le corps inanimé de Naima Rezzek, 55 ans, est retrouvé dans un logement de Saint-Michel. Son ex-conjoint Brahim Naili, âgé de 71 ans, s’est rendu dans un poste de police où il a été arrêté avant d’être formellement accusé de meurtre.

21 mai

Une dispute entre jeunes dégénère dans le stationnement d’un complexe d’habitations à loyer modique du Plateau-Mont-Royal. Ulrick Peterson Célestin, 25 ans, Alexandre Vatamanu, 23 ans, et un adolescent de 15 ans sont poignardés à mort.