J’écrivais mardi sur la gestion des entraves routières à Montréal*, pire que jamais si je me fie à vos abondantes (et parfois poétiques) réactions.

J’y reviendrai plus loin, mais voici d’abord un exemple tout frais d’un chantier qui a dérapé. L’histoire implique une cinquantaine d’enseignants « enclavés » sans préavis, une demande en injonction au tribunal et la venue d’un huissier… pour forcer la Ville à respecter ses propres « mesures de mitigation ».

Dans la catégorie « vos impôts font du chemin », ça devrait scorer assez haut.

L’affaire se déroule sur l’avenue Beaumont, dans le quartier Parc-Extension. C’est un secteur semi-industriel, qui sert souvent de voie de passage pour les automobilistes en transit vers le boulevard de l’Acadie. Il y a des commerces d’un côté et des bâtiments résidentiels de l’autre.

Beaucoup de monde au pied carré.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

L’entreprise Brault & Bouthillier, spécialisée dans la vente de matériel pédagogique depuis 1944, y a pignon sur rue. Elle offre aussi des formations dans ses locaux.

Le 1er mai dernier, le commerce reçoit un avis de la Ville. Il apprend que l’avenue Beaumont sera fermée à partir du 6 mai – soit cinq jours plus tard –, jusqu’à une date indéterminée en juillet.

Le 3 mai, le groupe envoie une mise en demeure à la Ville, pour lui demander de reporter ses travaux d’aqueduc de deux semaines. Le temps, au moins, d’aviser ses clients et fournisseurs.

Trois jours plus tard, une rencontre est organisée avec deux chargés de projet de la Ville. Plusieurs « mesures de mitigation » sont proposées. Le compromis semble satisfaisant.

La situation déraille le 15 mai, selon une demande d’injonction déposée par l’entreprise. Solidement. Malgré les promesses de maintenir la « circulation locale », l’avenue Beaumont est subitement bloquée.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Vue aérienne des locaux de l’entreprise Brault & Bouthillier, dans un secteur semi-industriel du quartier Parc-Extension

Un groupe d’une cinquantaine d’enseignants, venu assister à une formation et acheter du matériel pour la rentrée scolaire de 2024, se retrouve coincé sur place, allègue-t-on.

Impossible de sortir.

La circulation locale est complètement interrompue des deux côtés de l’avenue, depuis 9 h 30, de sorte qu’aucun camion ne peut ni entrer ni sortir, et qu’il est impossible pour les clients, dont le regroupement de professeurs, et les employés de la demanderesse de quitter les lieux de l’entrepôt.

Extrait de la demande d’injonction déposée par l’entreprise Brault & Bouthillier

Ce n’est pas la prise d’otages du siècle, on s’entend. Mais assez vite, le « chaos » s’installe.

Des enseignants ont finalement réussi à s’extirper de la zone de chantier en déplaçant eux-mêmes des cônes orange et des barrières, m’a raconté un dirigeant de Brault & Bouthillier. Leur captivité aura duré moins d’une heure, dit-il.

Ce qui n’aura pas mis un terme à la confusion autour de ces travaux.

« Même les policiers du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) dépêchés sur les lieux le 15 mai 2024 se sont plaints de ne pas avoir été mis au courant du chantier, tout comme le représentant de l’entrepreneur et du chargé de projet sur les lieux n’étaient pas au courant des ententes négociées », affirme la demande d’injonction.

L’entreprise estime que la « sécurité » de ses clients et employés a été mise à « risque » par le blocage intempestif de tous les accès à ses installations.

Brault & Bouthillier ne cherche à obtenir aucun dédommagement extraordinaire. Le commerce souhaite tout juste que les mesures promises par la Ville, soit de maintenir des accès minimaux à son commerce pendant les travaux, soient respectées.

La base de la base.

Le tribunal n’a pas mis de temps à lui donner raison. Le jour même du dépôt de sa requête, un juge de la Cour supérieure a ordonné à la Ville de Montréal de se soumettre « aux stricts engagements » qu’elle avait pris pour une durée de 10 jours.

Le tout, avec « frais à suivre ».

Cette décision a été signifiée mardi par un huissier sur le site des travaux.

Beaucoup de temps, d’énergie et d’argent (public) gaspillés, en somme, pour que la Ville fasse ce qu’elle avait dit qu’elle ferait. C’est-à-dire : bien gérer un chantier. Et assurer une coordination minimale entre toutes les parties impliquées.

Ce cas pourrait avoir l’air anecdotique. Les pauvres enseignants coincés dans le chantier ont réussi à rentrer chez eux. La Ville a été forcée à corriger le tir. Le chantier suivra son cours jusqu’à une « date indéterminée ».

Mais il y a encore beaucoup d’exemples du genre à Montréal. Vous avez été des dizaines à m’en raconter après la publication d’une chronique sur la réforme promise par l’administration Plante*.

Parmi les principaux irritants, il y a tous ces chantiers fantômes où on ne voit aucun travailleur pendant des jours ou des semaines. Souvent des travaux menés par la Ville ou les arrondissements, m’avez-vous signalé avec photos à l’appui.

Il y a aussi beaucoup de frustration envers la qualité (déplorable) de la chaussée. Elle ne s’améliore pas, au contraire, malgré tous ces cônes.

Certaines lectrices, comme Mélanie, déplorent aussi l’illogisme de certaines séquences de travaux.

« Depuis deux ans et plus, la rue [Mayor] est fermée pour cause de construction et/ou de travaux de la Ville, m’a-t-elle écrit. L’an dernier, la Ville a dû changer les canalisations, condamnant la rue tout l’été, jusqu’à décembre. Une fois l’asphalte neuve refaite, j’ai remercié le chef de chantier pour ce grand soulagement. Il m’a répondu de ne pas m’attacher à l’asphalte parce qu’ils allaient rouvrir la rue au printemps prochain. Chose qu’ils sont en train de faire depuis le 13 mai… »

Un seul lecteur, chauffeur d’Uber occasionnel, croit que la situation des chantiers s’est améliorée depuis un an ou deux.

Je donnerai le mot de la fin à Éric, un résidant d’Ahuntsic à la plume dégourdie, qui se dit maintenant « dégoûté » de l’état de sa ville.

Il signe son long courriel ainsi : « Un âne qui a le dos large. »

*Lisez la chronique « Montréal, ville-cône »