(Québec) Si le gouvernement Legault veut protéger la langue française, il a un petit ménage à faire dans sa cour.

Un rapport récent, passé sous le radar, représente un couac pour le ministre Simon Jolin-Barrette, au moment où sa réforme de la loi 101 est sur le point d’être soumise à une consultation en commission parlementaire à compter de la semaine prochaine.

Le ministre a fait de l’« exemplarité de l’État » le « premier pilier » de sa refonte de la Charte de la langue française, mais il vient d’avoir un rappel à l’ordre à ce chapitre.

Dans un rapport déposé au début de l’été, la Commission de la fonction publique a dévoilé les résultats d’une vérification portant sur les exigences linguistiques dans des offres d’emploi du gouvernement durant la période allant du 1er septembre 2019 au 30 septembre 2020.

La Commission a vérifié quatorze processus d’embauche de cinq organismes : l’Assemblée nationale, le Directeur des poursuites criminelles et pénales, le ministère des Finances, le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration et la Régie des alcools, des courses et des jeux.

Son constat ? « Concernant la justification de l’exigence de la langue anglaise dans la nécessité de l’accomplissement des tâches exigées pour l’emploi, plusieurs non-conformités ont été relevées », écrit la Commission.

Sur 14 processus d’embauche vérifiés, 12 (86 % !) ne respectent pas la loi.

La Charte de la langue française précise qu’« il est interdit à un employeur d’exiger pour l’accès à un emploi ou à un poste la connaissance ou un niveau de connaissance spécifique d’une langue autre que la langue officielle, à moins que l’accomplissement de la tâche ne nécessite une telle connaissance ». La description d’emploi doit permettre d’apprécier s’il est bien nécessaire d’exiger l’utilisation de la langue anglaise dans les tâches.

Pour l’Assemblée nationale, quatre des cinq processus d’embauche analysés « sont non conformes », « puisque les tâches liées à ces emplois ne justifient pas l’exigence de la connaissance de l’anglais », conclut la Commission. Tous les processus d’embauche vérifiés au DPCP (4), au MFQ (2) et à la RACJ (2) enfreignent eux aussi la Charte.

Le ministère de l’Immigration échappe au blâme, car sa seule offre d’emploi analysée est jugée conforme.

Dans ses recommandations, la Commission enjoint aux quatre organismes pris en défaut – dont l’Assemblée nationale ! – de « respecter l’article 46 de la Charte de la langue française en s’assurant de ne pas exiger la connaissance d’une autre langue que celle qui est officielle, à moins que l’accomplissement de la tâche le nécessite ».

Le ministre Jolin-Barrette silencieux

Le ministre Simon Jolin-Barrette n’a pas réagi, du moins publiquement, aux constats embarrassants de la Commission de la fonction publique. Il en avait pourtant beaucoup à dire quand, en 2019, le Conseil supérieur de la langue française avait révélé que le tiers des ministères et organismes n’avaient pas adopté de politique linguistique alors qu’ils sont tenus de le faire. Ce rapport « dresse un bilan des années libérales totalement inacceptable pour le nouveau gouvernement », disait-il.

Le ministre dépose donc une réforme pour entre autres contrer la généralisation du « bilinguisme institutionnel » alors qu’une disposition légale déjà existante n’est pas respectée par les ministères et organismes publics sous la gouverne caquiste. Simon Jolin-Barrette se servira probablement du rapport pour justifier son tour de vis.

Le débat des chefs fédéraux en anglais est venu alimenter l’opération du gouvernement visant à faire de sa réforme de la loi 101 une mesure phare de son plan nationaliste. En qualifiant le projet de loi 96 de discriminatoire et en l’assimilant à du racisme, au même titre que la Loi sur la laïcité de l’État, l’animatrice Shachi Kurl a provoqué un concert de critiques dans lequel le premier ministre François Legault a voulu poser encore plus solidement sa réforme comme l’une des bases de l’identité québécoise à ses yeux. Le débat sur son contenu – vaste – n’est même pas encore commencé !

La réforme touche les commerces, les milieux de travail, l’administration publique. Elle prévoit de modifier la Constitution pour préciser que le français est « la seule langue officielle du Québec » et « la langue commune de la nation québécoise ». Le gouvernement a recours pour la deuxième fois à la disposition de dérogation à la Charte des droits et libertés afin de se mettre à l’abri de contestations judiciaires.

Simon Jolin-Barrette n’exclut pas d’amender son projet de loi, mais il ferme la porte à l’idée d’imposer des restrictions supplémentaires à ce qui est prévu en matière d’accès à l’enseignement collégial en anglais. S’il maintient l’idée de geler la proportion des élèves francophones dans le réseau collégial anglophone, il n’est pas question d’assujettir les cégeps à la loi 101.

Le Parti québécois le réclame. Il cherchera à démontrer que la réforme ne va pas assez loin. Il fera ses choux gras de l’avis des démographes qui seront entendus en commission parlementaire et qui, dans La Presse cette semaine, ont déclaré que le projet de loi 96 était insuffisant pour contrecarrer le déclin du français dans le Grand Montréal. Il n’en demeure pas moins qu’une fois de plus, le PQ se retrouve à défendre ses platebandes traditionnelles dans lesquelles le gouvernement joue allègrement.

Le Parti libéral du Québec a demandé cette semaine que le gouvernement renonce à imposer le bâillon pour cette réforme – les caquistes ont eu recours à cette mesure pour faire adopter la Loi sur la laïcité de l’État. Dès le printemps dernier, dans le cadre de son virage nationaliste, le PLQ a présenté une vingtaine de propositions sur la langue – dont le gel du nombre d’élèves dans les cégeps anglophones. La cheffe Dominique Anglade a demandé que le gouvernement ne fasse pas de l’étude du projet de loi « un exercice de division ».

« Attaque contre les droits linguistiques » autochtones

Mais des tensions apparaissent déjà, avec les sorties récentes de représentants de la communauté anglophone. La résolution de la commission scolaire English-Montréal, disant que « le Québec n’est pas une nation », a été condamnée unanimement par l’Assemblée nationale. Une importante association de la communauté, Quebec Community Groups Network (QCGN), soutient que le projet de loi 96 aura « des effets néfastes sur la minorité anglophone du Québec ». Le PLQ fera inévitablement l’objet de pressions de la part d’un électorat qui lui est traditionnellement acquis.

De son côté, l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador juge que la réforme du gouvernement Legault est « une attaque en règle contre les droits linguistiques constitutionnels » des autochtones.

Au-delà de ces prises de position très tranchées, on peut s’attendre à ce que des problèmes soient relevés dans l’examen détaillé de ce projet de loi touffu.

Jusqu’ici, le gouvernement Legault a présenté son projet de loi comme une proposition « raisonnable ». Il croit se positionner au milieu des avis des uns et des autres sur l’enjeu linguistique.

La fin du bipartisme profite à la Coalition avenir Québec dans ce dossier. Elle dit incarner un équilibre entre libéraux et péquistes. Mais ce n’est qu’une partie du défi. En plus du débat de valeurs, il y a celui sur la pratique. Concrètement, le projet de loi est-il bien écrit et applicable ? C’est ce que la commission parlementaire permettra de découvrir.