L’itinérance a pris beaucoup d’ampleur au Québec. Dix mille personnes se trouvaient en situation d’itinérance visible dans la nuit du 11 octobre 2022, selon les données du plus récent dénombrement qui seront rendues publiques jeudi, a appris La Presse. Une hausse qui touche toutes les régions du Québec. Et la cause principale de la perte du logement, désormais : les expulsions.

Ce nombre de 10 000 itinérants représente une hausse de 44 % par rapport au précédent dénombrement, fait en avril 2018, indique le rapport du gouvernement du Québec, soit 2523 personnes de plus dans la rue. Ces données « demeurent des nombres estimés et sont certainement inférieures au nombre réel de personnes en situation d’itinérance », précise le rapport.

Devant l’ampleur de la crise, le ministre responsable des Services sociaux, Lionel Carmant, annoncera 20 millions de dollars supplémentaires pour couvrir les besoins urgents, des refuges entre autres, en prévision de l’hiver.

Premier constat du rapport : l’itinérance s’est régionalisée. En 2018, 80 % des personnes itinérantes se trouvaient à Montréal, comparativement à 60 % en 2022. Ça représente une hausse de 1033 personnes de plus dans les rues de la métropole.

C’est en Outaouais que l’augmentation de l’itinérance est la plus frappante, soit une hausse de 389 personnes (268 %). D’autres régions du Québec sont durement touchées, comme les Laurentides avec une hausse de 109 % et la Montérégie, où l’itinérance visible a augmenté de 98 %.

Deuxième constat : le nombre de personnes vivant directement dehors, que ce soit dans des campements ou dans la rue, a connu une hausse de 55 %. « Il est important de noter que l’augmentation de l’itinérance dans les lieux extérieurs prend de plus en plus d’ampleur dans certaines régions, telles qu’en Mauricie–Centre-du-Québec, en Estrie et en Outaouais, peut-on lire dans le rapport. De fait, on observe une forme de régionalisation de l’itinérance de rue. »

Les expulsions, première cause de la perte du logement

Plus de deux personnes itinérantes sur dix ont indiqué que l’expulsion de leur logement a mené à leur itinérance, ce qui en fait le principal point de bascule vers la rue en 2022. En 2018, l’abus de substances psychoactives était la principale raison invoquée pour la perte du dernier logement.

Les raisons menant à une expulsion peuvent être un loyer non payé, les rénovations ou des plaintes, par exemple. « Force est de reconnaître que les locataires évincés ne parviennent pas tous à se reloger, indique le rapport. Ainsi, une mesure véritablement préventive consisterait à offrir des services de soutien aux locataires évincés dès la décision du [Tribunal administratif du logement] rendue, sinon dès l’introduction d’une demande. »

Ces données varient toutefois d’une région à l’autre. Par exemple, dans la région de Chaudière-Appalaches, c’est la santé mentale qui est considérée comme la principale cause menant à l’itinérance, à 26 %. En Montérégie, c’est plutôt la consommation de substances.

Autre détail troublant : en 2022, un pourcentage élevé des personnes en situation d’itinérance travaillaient. À Montréal, par exemple, 17 % des gens à la rue avaient un emploi lors du dénombrement, par rapport à 16 % à l’échelle provinciale.

Québec fera le point jeudi

Comme la crise du logement et les expulsions sont la cause principale de la hausse de l’itinérance, la ministre responsable de l’Habitation, France-Élaine Duranceau, accompagnera son collègue des Services sociaux Lionel Carmant pour réagir au rapport sur l’itinérance jeudi matin.

M. Carmant avait prévenu au cours des derniers jours que le nouveau portrait allait être plutôt sombre. « Il faut casser la tendance », a-t-il affirmé mercredi lors d’une brève mêlée de presse au parlement.

« C’est un nouveau problème » qui touche tout le Québec. « Il faut stabiliser, redescendre avant de parler d’éradiquer » l’itinérance, a-t-il ajouté.

Le dénombrement met la table au Sommet sur l’itinérance de l’Union des municipalités du Québec vendredi. Lionel Carmant y sera attendu de pied ferme, surtout après l’accrochage survenu la semaine dernière. Des maires avaient fortement critiqué sa gestion de la crise de l’itinérance. Le ministre Carmant avait répliqué en leur demandant de « baisser le ton ». « Ce n’est pas en lançant des tomates qu’on va résoudre la problématique », plaidait-il.

Mercredi, Lionel Carmant a tenté d’apaiser les tensions en prévision du Sommet. « Aidons-nous les uns les autres », a-t-il affirmé. « Il faut que ce soit constructif. Il faut qu’on sorte de là un pas en avant, un grand pas en avant. »

Lionel Carmant n’arrivera pas les mains vides à l’évènement alors qu’il distribuera 20 millions de dollars supplémentaires pour couvrir les besoins urgents, ceux des refuges entre autres, en prévision de l’hiver. En entrevue à La Presse la semaine dernière, le ministère des Finances Eric Girard disait d’ailleurs que le plan d’action sur l’itinérance annoncé en 2021, qui prévoyait 280 millions en cinq ans, sera bonifié. « On peut faire plus », reconnaissait-il. Le grand argentier du gouvernement faisait également miroiter des fonds supplémentaires pour construire davantage de logements sociaux et abordables.

Des groupes surreprésentés

Certains groupes sont particulièrement présents dans la rue. C’est le cas des autochtones, qui représentent près de la moitié des personnes sans domicile fixe en Abitibi-Témiscamingue et sur la Côte-Nord. Au total pendant le recensement, 13 % des personnes se sont identifiées comme autochtones, c’est-à-dire 5 fois plus que dans l’ensemble de la population.

Non seulement les personnes autochtones sont-elles surreprésentées dans la rue, mais elles y sont aussi depuis plus longtemps que les allochtones, précise le rapport. Selon le dénombrement, 38 % des Autochtones ont indiqué avoir vécu leur premier épisode d’itinérance il y a plus de 10 ans, contre 29 % des allochtones.

Les personnes de la diversité sexuelle et de genre représentent pour leur part 15,5 % des personnes recensées dans la rue, et même 28,7 % des jeunes de moins de 30 ans. L’une des explications de cette surreprésentation pourrait être liée au rejet du foyer familial, précise le rapport.

« Les jeunes LGBTQ+, et en particulier les jeunes trans et non-binaires, devraient par conséquent faire l’objet d’une attention particulière lorsque vient le temps de circonscrire des mesures de prévention », estime le rapport.

Environ trois personnes en situation d’itinérance sur dix ont aussi déjà été placées dans différents services de la DPJ.

Les personnes incarcérées sont aussi très présentes parmi les personnes sans-abri. Une personne incarcérée sur cinq a perdu son logement,

Finalement, selon le dénombrement, une personne sur deux était à la rue depuis moins d’un an, 36 % depuis un à cinq ans, 15 % depuis 5 à 10 ans et 31 % depuis 10 ans et plus. La vaste majorité des personnes en situation d’itinérance, soit 67 %, sont des hommes.

Méthodologie

Le soir du 11 octobre 2022, des centaines d’intervenants, de travailleurs de rue, ainsi que plus de 1000 bénévoles formés ont sillonné les rues de 248 secteurs et 112 lieux ciblés de 13 régions du Québec, précise le rapport. Dans les jours suivants, les ressources offrant de l’hébergement aux personnes en situation d’itinérance ont aussi transmis des informations, de même que les centres de réadaptation en dépendance, les centres hospitaliers et des établissements carcéraux. Les données ont été analysées par l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), avec le mentorat du chercheur Eric Latimer, qui avait fait l’analyse des données du dénombrement de 2018.