(Québec) Québec affronte une « tempête parfaite » avec l’explosion de l’itinérance et la crise du logement, affirme François Legault, qui envisage de reculer sur la cession de bail. Le ministre Lionel Carmant annonce une enveloppe de 15,5 millions d’argent frais pour construire des refuges avant l’hiver.

« C’est un peu comme une tempête parfaite. D’abord, il y a un problème de consommation de drogues, […] ça amène toutes sortes de problèmes de santé mentale. Évidemment, aussi, il y a une crise du logement qui vient s’ajouter à ça. […] On a quand même investi beaucoup dans le premier mandat, mais il y a une mise à jour qui s’en vient en novembre [et] il va falloir en faire plus », a déclaré jeudi le premier ministre.

Selon M. Legault, les ressources en santé mentale qui ont été ajoutées à ce jour ne suffisent pas à répondre à l’augmentation de la demande. Le premier ministre envisage de reculer sur les dispositions controversées touchant la cession de bail du projet de loi de la ministre France-Élaine Duranceau, qui vient modifier diverses dispositions législatives en matière d’habitation. Les consultations s’ouvrent ce jeudi.

Le gouvernement pourrait-il changer d’idée à propos des cessions de bail ? « On n’exclut rien à ce moment-ci », a-t-il dit. M. Legault a repris essentiellement son propos lors de la période des questions, qui a été largement occupée par l’enjeu de l’itinérance.

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François Legault

Le phénomène est en explosion au Québec et a bondi de 44 % en cinq ans, selon le dernier dénombrement. Et la cause principale de la perte du logement, désormais : les expulsions.

L’une des dispositions du texte législatif permettrait aux propriétaires de refuser une demande de cession de bail « pour un motif autre qu’un motif sérieux », ce qui sème la controverse puisque la cession de bail est considérée comme un levier contre les hausses de loyer abusives pour les locataires. « La corrélation [entre] cession de bail et l’itinérance, je ne pense pas qu’elle est la bonne », a affirmé Mme Duranceau.

Le premier ministre Legault a été plus nuancé. « On va regarder les pour et les contre. Il faut qu’il y ait un équilibre, parce que ce qu’on souhaite entre autres, c’est qu’il y ait plus de propriétaires qui construisent plus de logements », a-t-il dit.

« Le moment est crucial », dit Carmant

Pour le ministre responsable des Services sociaux, Lionel Carmant, « le moment est crucial ». Lui et sa collègue à l’Habitation, France-Élaine Duranceau, ont réagi jeudi à la publication des données du plus récent dénombrement sur l’itinérance. Le phénomène touche maintenant toutes les régions de la province.

« Nous avons vu les chiffres, ils sont inquiétants. Cependant, on s’y attendait un peu. J’ai fait le tour du Québec cet été, j’ai parlé avec les maires, les organismes, et on s’y attendait. […] Il faut qu’on brise la tendance », a affirmé M. Carmant en mêlée de presse. « J’ai demandé au ministère d’approuver tous les projets qui vont être mis en place d’ici cet hiver », a-t-il ajouté.

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Lionel Carmant

Cette directive veut dire que les projets d’aménagement de refuges soumis par les CISSS et CIUSSS recevront le feu vert de Québec. Le ministre des Finances a autorisé des sommes additionnelles de 15,5 millions pour la réalisation de ces initiatives. À cela s’ajoute un montant de 7 millions, déjà prévu au dernier budget Girard, dont 2,5 millions ont été engagés pour un refuge pour Autochtones à Montréal.

Le ministre Lionel Carmant est attendu de pied ferme au Sommet municipal sur l’itinérance, qui se tient vendredi à Québec. Il espère que les sommes annoncées jeudi permettront d’abaisser la tension entre les maires et le gouvernement Legault. La semaine dernière, après une charge frontale de la mairesse de Gatineau à son endroit, le ministre Carmant a appelé les élus municipaux « à baisser le ton ».

Au moins 10 000 personnes se trouvaient en situation d’itinérance visible dans la nuit du 11 octobre 2022, selon les données du plus récent dénombrement. Et la cause principale de la perte du logement, désormais : les expulsions.

La ministre de l’Habitation défend le gouvernement Legault d’avoir reconnu la crise du logement trop tard.

« Depuis que je suis en poste, tout ce que je fais, c’est de débloquer des projets », a-t-elle assuré. « Il n’y a jamais eu autant de projets d’habitation qui sont financés. Il y en a 12 000 en ce moment, des projets qui sont financés. Là, il faut qu’ils sortent de terre, puis on est pris avec les délais que ça prend pour construire. Mais je vous le dis, il n’y en a jamais eu autant », a plaidé la ministre Duranceau.

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France-Élaine Duranceau

Selon elle, le Québec affronte une « tempête parfaite ». La ministre appelle les municipalités à accélérer la construction de logements sociaux sur leur territoire. « Il faut que tout le monde ait le même sentiment d’urgence », a-t-elle indiqué jeudi, au même moment où s’ouvrent les consultations particulières sur le projet de loi 31 qui vient modifier diverses dispositions législatives en matière d’habitation.

Vers une aide spéciale

Mme Duranceau a révélé que son ministère planche sur « des aides financières à la personne » touchées par la crise du logement. « [Ces mesures] présupposent certains changements législatifs, donc je ne peux pas vous en parler maintenant, mais c’est dans les cartons », a-t-elle précisé.

La semaine dernière, le premier ministre François Legault a dévoilé qu’il envisage de verser une « aide spéciale » aux personnes les plus vulnérables qui « souffrent » de la crise du coût de la vie. Cette aide pourrait être annoncée lors de la mise à jour économique du gouvernement en novembre.

En entrevue éditoriale à La Presse, le ministre des Finances, Eric Girard, a affirmé que des « mesures ciblées » pour le logement, l’itinérance et l’adaptation aux changements climatiques sont dans ses cartons. Le ministre a notamment fait miroiter des fonds supplémentaires pour construire des logements sociaux et abordables.

Avec Hugo Pilon-Larose

Ils ont dit

[À la] suite de la pandémie, il y a beaucoup de locaux commerciaux qui sont vides. Nous, ce qu’on demanderait, c’est aux villes, aux gouvernements, aux propriétaires de s’asseoir ensemble avec les organismes communautaires pour bien identifier des locaux commerciaux qui pourraient être aménagés en sites d’hébergement d’urgence et transitoires.

Marc Tanguay, chef intérimaire du Parti libéral du Québec

La principale cause de l’itinérance aujourd’hui en 2022, et probablement 2023 aussi, c’est les expulsions. Ça fait cinq ans qu’on en parle et on se rend compte finalement que le gouvernement et France-Élaine Duranceau et Lionel Carmant n’ont pas écouté les recommandations faites par Québec solidaire.

Étienne Grandmont, député de Québec solidaire

Le résultat de son travail est catastrophique, donc il faut travailler encore davantage. Il faut que les efforts soient accrus. Il faut que les moyens, surtout, soient conséquents. Et visiblement, le travail qu’il fait ne donne pas les résultats escomptés.

Joël Arseneau, député du Parti québécois