(Saguenay et Montréal) Fortement critiqué par les maires pour sa gestion de la crise de l’itinérance, le ministre Lionel Carmant exhorte les élus municipaux « à baisser le ton ». Ce n’est pas « en lançant des tomates qu’on va résoudre la problématique », a-t-il répliqué jeudi, piqué au vif par la charge frontale de la mairesse de Gatineau à son égard.

Le ministre responsable des Services sociaux estime que la sortie de la mairesse France Bélisle est « injuste » et contre-productive. L’élue de Gatineau y est allée jeudi d’une charge à fond de train contre le ministre Carmant alors qu’elle participe au Sommet sur la fiscalité municipale à Montréal. La semaine prochaine, les maires se réuniront cette fois à Québec, pour aborder la situation de l’itinérance.

« J’aimerais être clair : je suis extrêmement déçu de la sortie de la mairesse [de Gatineau] aujourd’hui. Depuis le début, j’appelle à tout le monde d’être collaboratif et il n’y a pas une sortie comme ça qui va aider à sortir une personne de l’itinérance », a lancé le ministre Carmant, en marge du caucus caquiste qui se réunit à Saguenay jeudi et vendredi en prévision de la rentrée parlementaire.

« Elle me lance la balle ! Moi, je n’ai jamais lancé la balle à personne. Moi, j’assume mes responsabilités », a-t-il décoché, visiblement sonné.

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La mairesse de Gatineau France Bélisle

Mme Bélisle a déploré l’inaction du gouvernement en matière d’itinérance, menaçant même le ministre Carmant de faire une « crise de bacon » pour exprimer sa frustration. La situation est si criante dans sa municipalité qu’une jeune femme de 18 ans, sans domicile fixe, aurait récemment accouché dans un boisé, a-t-elle rapporté au ministre. « Est-ce que c’est ça, mon Québec, en 2023 ? », a-t-elle dénoncé.

Elle a précisé que cet évènement lui a été rapporté par d’autres femmes itinérantes qui auraient aidé les services d’urgence à atteindre la jeune parturiente. Ces faits n’ont toutefois pas été vérifiés auprès des policiers ou des ambulanciers de sa municipalité, a-t-elle reconnu.

Le maire de Québec, Bruno Marchand, qui participe au même évènement, n’a guère été plus tendre. Le manque d’action de l’État québécois face à l’itinérance pourrait « tuer des maires et mairesses » qui ont l’impression de se battre seuls contre la croissance « exponentielle » de cette crise, a dit jeudi le maire.

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Bruno Marchand

Dans les municipalités, des employés et des élus travaillent inlassablement pour trouver des solutions à l’explosion du nombre de sans-abri dans leurs rues, a fait valoir le maire de Québec. « Mais ça ne peut pas être seuls. Seuls, on va s’étouffer au combat. Et c’est ça qui arrive présentement », a-t-il continué. « Si vous voulez tuer des maires et mairesses, continuez de faire ce qu’on fait avec […] des gens qui s’engagent et ont l’impression d’être seuls au combat. »

Appel au calme

« Je ne sais pas ce qui s’est passé aujourd’hui », a déclaré M. Carmant. « J’invite tous les maires à baisser le ton. Je vais être là le 15 septembre [au Sommet municipal sur l’itinérance]. J’ai accepté de vous rencontrer, donc travaillons ensemble », a soutenu le ministre.

C’est une responsabilité partagée. Moi, ce que je leur demande, c’est de travailler en équipe. Moi j’accepte ma part, j’accepte que je doive en faire plus. Mais il faut qu’on travaille tous ensemble. C’est pas en lançant des tomates qu’on va résoudre la problématique !

Lionel Carmant, ministre responsable des Services sociaux

En entrevue éditoriale à La Presse mercredi, le ministre des Finances Eric Girard a donné le signal que son gouvernement répondrait aux préoccupations des élus municipaux. Il y aurait ainsi des « ajustements » au plan d’action annoncé par M. Carmant en 2021 dans la mise à jour économique attendue cet automne. Le plan de M. Carmant prévoyait 280 millions de dollars en cinq ans.

« Je comprends [que les maires] comprennent que la mise à jour serait peut-être trop près de l’hiver. Je pense qu’il faut agir avant et c’est pour ça que je vais les rencontrer le 15 septembre », a affirmé M. Carmant.

Le maire Bruno Marchand a d’ailleurs déjà averti le gouvernement du Québec de ne pas se présenter les mains vides au Sommet municipal sur l’itinérance de la semaine prochaine. Jeudi, il a rappelé que Québec devait en faire plus.

« Pas parce que le Québec ne fait rien. Je ne suis pas en train de dire que le Québec ne fait rien, je n’ai jamais dit ça, a-t-il continué. Mais est-ce que le Québec n’en fait pas assez ? La réponse, c’est oui. » Les services sociaux et de santé constituent une compétence provinciale.

Le maire de Québec a donné l’exemple de Saint-Jean-sur-Richelieu, où la population itinérante se comptait sur les doigts d’une main en 2020, alors qu’elle tournait autour de 80 personnes deux ans plus tard.

Il faut « arrêter de se dire que c’est quelque chose d’inéluctable auquel on ne peut rien changer », a-t-il dit. Il faut « arrêter de manquer d’ambition : me semble qu’il y a un Québec, un jour, qui avait de l’ambition ».