«Je ne sais pas comment font les gens pour avoir deux enfants», ironise Juan Jimenez en allant chercher son fils dans une crèche privée de Madrid. Un luxe quasi obligatoire dans une Espagne à la natalité en berne, où les garderies publiques sont rares.

Profitant d'un jour de congé, cet informaticien de 32 ans accompagne son amie Nadine Rodriguez, employée du secteur des assurances du même âge, qui tous les jours va récupérer leur petit garçon d'un an, Pablo.

Le couple gagne environ 2300 euros par mois. Malgré cette situation presque privilégiée dans un pays aux 27% de chômeurs, ils arrivent «tout juste à boucler les fins de mois», remarque Juan.

Compte tenu des horaires dans les entreprises, où la journée de travail se termine souvent à 19 h passée, et des places très rares en crèche publique, le couple aurait dû payer une fortune pour laisser Pablo en garderie privée à plein temps.

Comme beaucoup d'Espagnols, ils auraient pu compter sur leurs familles pour économiser: près de la moitié des grands-parents disaient s'occuper quotidiennement de leurs petits-enfants dans une étude datée de 2011. Mais eux veulent les solliciter le moins possible.

Un choix au coût élevé: Nadine a réduit son temps de travail, perdant 300 euros par mois. Le couple, qui s'est endetté sur 40 ans, en 2006, pour acheter un appartement, paye plus de 500 euros par mois pour laisser Pablo à la garderie de 7 h 30 à 16 h 40.

Bloqués dans ce petit appartement par un marché immobilier sinistré, Nadine et Juan ne s'imaginent pas pour le moment avoir un autre enfant. «Il serait alors sans doute plus économique de ne pas travailler», remarque Nadine.

Leur cas est emblématique de la situation en Espagne, où le taux de fécondité est l'un des plus bas d'Europe depuis les années 1980. Il se situait à 1,32 enfant par femme en 2012, avec un âge moyen tardif pour le premier, de 31,6 ans.

Égalité hommes-femmes

Dans un pays à la population vieillissante, le faible taux de fécondité «remet en question la survie de l'État providence», s'inquiète Salomé Adroher, directrice du département Famille et enfance au ministère de la Santé.

Avec la démocratie qui a suivi la dictature de Francisco Franco, mort en 1975, les femmes se sont rapidement intégrées au marché du travail. Mais «cette arrivée massive n'a pas été accompagnée des changements nécessaires dans la société», explique-t-elle.

«Il manque des mesures qui puissent rendre la vie plus facile aux femmes», ajoute Julio Perez, démographe au Centre de recherches Csic. «Elles se chargent à la fois des rôles traditionnels et des nouveaux rôles. Le processus qui nous amènera vers plus d'égalité n'est pas encore achevé.»

La crise, qui dure en Espagne depuis cinq ans, a accentué le problème: après une légère hausse pendant le boom, le taux de fécondité baisse depuis 2008.

Engagée dans un dur effort d'austérité, l'Espagne a supprimé en 2010 le «chèque-bébé» de 2500 euros, versé depuis 2007 à la naissance d'un enfant.

Nadine touche 100 euros par mois, versés par l'État aux mères d'enfants en bas âge qui travaillent. Et le couple espère pouvoir bénéficier à la rentrée d'une aide mensuelle de 100 euros pour la garderie, venant du gouvernement régional.

Mais pour Julio Perez, les aides économiques ne sont pas la clé de tout: «En époque de crise, l'État a beau faire ce qu'il veut, si quelqu'un veut avoir un enfant dans de bonnes conditions, le plus normal est qu'il reporte son projet».

Parmi les pays développés, ceux «qui affichent une fécondité un minimum plus élevée ne sont pas ceux qui s'inquiètent de la natalité, mais ceux qui s'occupent d'établir l'égalité entre hommes et femmes».

Lutter contre la crise est essentiel pour aider les familles, reconnaît Salomé Adroher, «mais le pas suivant, nécessaire, doit être d'aider à concilier vie professionnelle et familiale».

Pour cela, le gouvernement conservateur travaille à l'élaboration d'un plan de soutien à la famille, qui devrait être présenté début 2014.