Cette nuit, les abeilles partent travailler à 150km de chez elles. Et elles doivent être arrivées avant le lever du soleil. Récit d'une course contre la montre.

Le soleil n'est pas encore tout à fait couché. Les apiculteurs s'affairent depuis déjà plusieurs heures. Objectif : remplir une énorme remorque avec plus de 500 ruches pour emmener les abeilles butiner dans un énorme champ de canneberges situé à plus d'une heure et demie de route. Ce qui revient à déplacer près de 10 millions d'abeilles...

« En général, la nuit, quand on les déplace, elles ne sont pas de bonne humeur », dit Xavier Bonnard, employé de la Miellerie de l'Estrie, entreprise de Sherbrooke qui loue ses ruches pour la pollinisation. La nuit est pourtant le meilleur moment pour déplacer ces petites bestioles : elles rentrent à la maison... et sont censées y rester.

Les abeilles sont censées passer la nuit dans la ruche. Elles sortent toutefois par centaines lorsque leur maison est bousculée pendant le chargement. Chaque ruche abrite un certain nombre d'abeilles guerrières dont la mission est de défendre la colonie et sa reine. Les vêtements de protection limitent les piqûres, mais ne les empêchent pas. Les apiculteurs et le photographe de La Presse ont tous étés piqués plus d'une fois durant la nuit !

Il est près de 2 h du matin lorsque le chargement de ruches arrive chez Nature Canneberge, à Saint-Louis-de-Blandford. Cette nuit, le voyage a été court : moins de deux heures de route. Envoyer des ruches sur la Côte-Nord pour la culture de bleuets est une tout autre paire de manches. « C'est une course contre la montre », résume Dario Subotic. Le camion ne doit pas s'arrêter. Et si le jour se lève durant le transport ? C'est le signal du réveil et les abeilles sortent... « On en perd une partie, mais ça fait partie de la game », dit l'apiculteur. Pour les longs voyages impossibles à boucler en moins d'une nuit, d'autres apiculteurs utilisent des camions réfrigérés dans lesquels les abeilles sont aussi plongées dans une obscurité totale.

Maxime Gagné (à gauche), gérant de ferme pour Nature Canneberge, accueille Dario Subotic et ses abeilles. L'exploitation agricole cultive 270 acres cette année. Elle a loué l'équivalent de deux ruches par acre pour favoriser la pollinisation des fleurs de canneberges et maximiser la production de ce petit fruit. « Si on attend après les abeilles sauvages, il ne se passera rien », dit Maxime Gagné. Après les bleuets, les canneberges sont la plus importante culture à dépendre des abeilles domestiques au Québec.

Le déchargement se fait sous la pluie. Pendant que son patron manie le chariot élévateur, Louis Mongrain s'affaire auprès des ruches. Plus tôt dans la nuit, il travaillait en chantant Yves Duteil ou Les Colocs. Il en a moins envie maintenant. Les abeilles sont de mauvaise humeur. Encore. Elles piquent. Encore. Environ une heure après notre arrivée, le tiers des quelque 500 ruches est de retour sur la terre ferme. Au bout de la nuit, elles auront été distribuées sur différents emplacements afin que leurs habitantes puissent butiner sur l'ensemble de l'exploitation agricole. Le déchargement s'achèvera juste avant le lever du soleil...