Sa relationniste vous le dira, Jean Pascal a plusieurs qualités, mais il n’est certainement pas l’homme le plus ponctuel de Miami.

On s’était donc donné de la marge pour le rendez-vous téléphonique prévu à 11 h. Quand même, deux heures plus tard, force était de constater qu’il avait oublié.

Le boxeur de 40 ans n’avait simplement pas prévenu d’un changement de sa routine d’entraînement habituelle en vue de son retour à Montréal, en soirée lundi, pour son combat du 16 mars contre l’Allemand Michael Eifert à la Place Bell de Laval.

« Je passe chercher mes sacs au condo et je te rappelle de l’aéroport, je serai plus tranquille », s’est-il excusé, à moitié contrit.

Le temps s’est (encore) étiré. Le téléphone a sonné de nouveau à 15 h 12 alors que son avion décollait à 15 h 45.

« Ça va ?

— Ça pourrait mieux aller. J’ai manqué mon vol, il était en surcapacité. Je suis arrivé sur la limite, ils ont donné ma place à quelqu’un d’autre… »

Prochain vol disponible : mercredi… Jean Pascal est donc retourné chez lui avec tout le temps voulu pour accorder une entrevue.

« Les chemins difficiles »

Malgré sa vaste expérience et sa fiche de 36-6-1, il a admis un « brin de nervosité » et de « l’excitation » à la veille de son « retour à la maison » dans le cadre de son premier combat au Québec depuis le 20 juillet 2018. Dans ce qui ressemblait davantage à une exhibition, il s’était alors mesuré à Steve Bossé, spécialiste des arts martiaux mixtes et ex-bagarreur de la Ligue nord-américaine de hockey.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Jean Pascal a affronté Steve Bossé le 20 juillet 2018.

Pascal, qui s’est surnommé le « road warrior », a disputé ses quatre affrontements suivants aux États-Unis face à des adversaires de renom comme Dmitrii Bivol (défaite par décision), Marcus Browne (victoire par décision technique), Badou Jack (décision partagée) et Fanlong Meng (décision unanime).

Cette dernière victoire surprise, face à un autre rival invaincu et premier aspirant de l’IBF, lui a permis de se refaire un nom sur la scène internationale après un test antidopage dévastateur. Il avait perdu la ceinture des mi-lourds de la WBA remportée contre Browne.

Cette démonstration contre Meng en Floride ne fut cependant pas suffisante pour l’installer au premier rang des aspirants du titre mondial IBF détenu par le Montréalais Artur Beterbiev. L’organisme de sanction a décrété un combat éliminatoire contre le Britannique Joshua Buatsi (16-0), qui s’est désisté à la dernière minute.

« C’est un boxeur intelligent, son entourage est intelligent. Ils savent que Jean Pascal est une menace. Pourquoi affronter une menace quand on peut trouver un chemin beaucoup plus facile ? C’est juste Jean Pascal qui doit toujours avoir le chemin le plus difficile… »

Troisième aspirant, le Québécois doit donc se mesurer à Michael Eifert, classé cinquième. L’Allemand de 24 ans, qui détient une fiche 11-1, est peu connu hors de son pays natal, où il a passé la majorité de sa carrière.

« Ce n’est pas un combat que j’ai choisi, a rappelé Pascal. Ça m’est imposé par l’IBF même si j’ai battu l’aspirant numéro un à mon dernier combat. On ne m’a jamais rien donné de gratuit dans la vie. »

J’ai toujours eu les chemins les plus difficiles. J’ai parfois dû faire face à des injustices. Mais bon, on m’a offert ça, je fonce. Je vais battre Michael Eifert et devenir l’aspirant obligatoire au champion IBF.

Jean Pascal

Malgré sa confiance habituelle, Jean Pascal donne le statut de favori à Eifert. « Être le négligé, c’est l’histoire de ma vie depuis la petite école. Comme à la boxe, même si j’ai tout le talent au monde, on me néglige tout le temps. Dans ma tête, je me considère donc encore comme le négligé. Eifert est jeune, il a le cardio et l’énergie pour pouvoir me battre. C’est important pour moi d’être prêt. »

Héritage

À l’aube de la quarantaine, celui qui a grandi dans les quartiers Saint-François et Laval-des-Rapides pourrait très bien contempler sa carrière et vivre de ses rentes. Qu’est-ce qui l’incite à risquer sa santé sur un ring ?

L’athlète olympique de 2004 rêve d’être admis au Temple de la renommée de la boxe internationale et de bonifier sa collection avec les ceintures IBF et WBO, les seules qu’il n’a jamais détenues.

« C’est pas compliqué, j’ai encore du gaz dans la tank, ajoute-t-il. Toutes mes cellules sont en place, je me sens bien mentalement et physiquement. J’ai le luxe de pouvoir continuer et de m’entraîner. Ce que je recherche, c’est de laisser un héritage solide au Québec et dans mon sport. Ce qui me motive ? Réécrire des pages d’histoire encore une fois. C’est pour ça que je continue à boxer. C’est ça qui m’anime, qui me donne du gaz. Ça et les fans. Quoi qu’il arrive, ils sont derrière moi. »

Pour l’heure, ils se sont manifestés de façon timide. D’après le plan de salle disponible sur ticketmaster.ca, une majorité de billets n’a toujours pas trouvé preneur pour la carte qui mettra également en vedette Mathieu Germain, Joseph Ward, Jessica Camara et Caroline Veyre. En janvier, Kim Clavel avait attiré un peu plus de 4000 spectateurs à la Place Bell, selon les chiffres annoncés.

En conférence de presse en décembre, Yvon Michel, copromoteur de l’évènement avec l’Américain Lou DiBella et Jean Pascal lui-même, avait souligné que le boxeur ferait face à une nouvelle pression après s’être battu aux États-Unis depuis 2018, celle de vendre des billets.

« Sincèrement, moi, mon travail, c’est de boxer, a réagi Pascal. La job d’Yvon et de Lou DiBella, c’est de promouvoir le combat le plus possible, selon leurs moyens. Je suis toujours enclin à les aider, mais mon travail, c’est vraiment de m’entraîner fort et de gagner le combat. »

Quelle assistance le satisferait ? « J’en ai aucune idée, a-t-il assuré. Réjean Tremblay écrivait dans un article que je méritais 20 000 personnes à la Place Bell. Malheureusement, il n’y a que 10 000 personnes qui peuvent entrer… Si on est capables d’en accueillir le plus possible, ça va me faire plaisir. »

L’ex-champion lance néanmoins un appel à ses partisans et aux amateurs de boxe québécois pour refaire de la province « une plaque tournante de la boxe internationale » comme il y a une décennie.

« Pour montrer aux Américains que nous méritons des combats de championnat du monde et d’unification. Et qu’un jour, s’il y a un combat entre Artur Beterbiev et moi, qu’il soit à Montréal et non à Las Vegas ou ailleurs aux États-Unis. »

D’une manière ou de l’autre, Pascal concède avoir besoin « d’une victoire sans équivoque » contre Eifert, sans quoi « il n’y aura pas de suite ». « Je me concentre donc sur le présent pour pouvoir contrôler mon futur. »

Pour l’heure, il doit d’abord rentrer à Montréal. Texto de Jean Pascal à 20 h 38 : la compagnie aérienne lui a finalement trouvé un siège pour le vol de mardi après-midi. Il s’agira d’arriver un peu moins juste à l’aéroport de Miami...

Bible et rapport de police

S’il refuse toujours de commenter son arrestation survenue dans la nuit du 25 novembre à Montréal en raison du processus judiciaire en cours, Jean Pascal tient à préciser une chose : « Je n’ai jamais été arrêté pour alcool au volant ou pour [conduite] en état d’ébriété. J’ai été arrêté pour refus d’avoir donné un échantillon d’haleine aux policiers. Ce sera au juge de constater ou vérifier si c’est vrai ou pas. Que ce soit marqué dans un rapport de police, ça ne veut pas dire que c’est la vérité. Un rapport de police, ce n’est pas la Bible. Puis même dans la Bible, il y a des mensonges. Alors, imaginez dans un rapport de police… »