Le meilleur fondeur au Canada n’échangerait son quotidien pour rien au monde malgré une vie de dévouement. Il mange bien, au lit à 21 h 30, boit bien. Tout pour optimiser son entraînement et, ultimement, faire ce qu’il aime le plus : skier.

(Québec) Le quotidien d’Antoine Cyr fait envie. Entre les voyages outre-mer et son café matinal au pied du mont Sainte-Anne, le fondeur sait profiter des bonnes choses. Et chez lui, le bonheur ne réside pas que dans les petites choses, car il est candidat à mener une vie d’ambitions.

L’automne est adolescent et le temps est gris sur la ville de Québec, en ce mercredi de la mi-octobre.

Antoine Cyr arrive au Centre des glaces à 9 h 20, sachant bien que La Presse allait le suivre toute la journée avant son départ pour l’Europe afin d’entamer une nouvelle saison. Détrompez-vous, l’athlète de 25 ans n’a pas troqué ses skis pour des patins.

La première partie de sa journée est consacrée à un test à l’effort sur 3000 mètres. Courir autour de l’anneau de glace avec ses coéquipiers du Centre national d’entraînement Pierre-Harvey (CNEPH) dans le cadre d’une étude réalisée en collaboration avec un physiothérapeute habitué à graviter autour de l’équipe.

Cyr retire sa tuque et sa veste Salomon avant d’enfiler ses vêtements de course.

Il salue tout le monde, blague avec certains, prends des nouvelles des autres. C’est un peu comme si le capitaine venait d’entrer dans le vestiaire de l’équipe.

Après 10 minutes de préparation dans l’aire de repos, Cyr et ses coéquipiers s’activent à 9 h 50. Pendant les tours d’échauffement, ils sont plusieurs à vouloir courir avec lui.

Le meilleur fondeur au Canada fait la plupart de ses tours avec son coéquipier Olivier Léveillé, de trois ans son cadet. Cyr lui prodigue des conseils d’entraînement, notamment sur la manière de mieux faire ses tractions sur barre.

À 10 h 20, le test commence et Cyr parcourt les 3000 mètres en 9 minutes et 20 secondes. « Je ne suis pas très bon, lance le skieur en sueur. Je n’aime pas ça, courir. Oli est meilleur. Oli est très bon, en fait ! Une chance que je fais du ski ! »

L’auteur de cinq top 10 la saison dernière s’éponge brièvement, se change et s’amène dans la cafétéria de l’aréna.

Une vie de dévouement

L’horloge n’a pas encore atteint la onzième heure et Cyr s’attable en déposant sa barre tendre, sa bouteille d’eau et son téléphone cellulaire.

« On est contents quand il ne fait pas beau », révèle le Gatinois en regardant à l’extérieur par les grandes fenêtres de l’espace repas. La rencontre a eu lieu pendant la haute saison de la chasse au canard et Cyr est un amoureux de la discipline. « On y va souvent après l’entraînement, en fin d’après-midi, c’est hot ! C’est une belle chasse, c’est sportif comme chasse. »

PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM D’ANTOINE CYR

Antoine Cyr à la chasse au canard

Toutefois, à compter du 24 novembre, à Ruka en Finlande, il sera à la chasse aux médailles.

Et à son niveau, chaque détail peut faire une différence. Ou l’éloigner de ses rivaux norvégiens, finlandais ou italiens, à qui il doit concéder argent, financement et ressources. Donc sa routine doit être sans faille, car l’imperfection ne gagne jamais de course.

« Je fais tout dans ma vie pour optimiser mon entraînement », soutient-il. Et il n’est pas question ici des 900 heures annuelles en volume d’entraînement. Mais de tout ce qui les entoure.

Il mange bien, boit bien et dort bien. C’est fondamental. « Où j’essaie d’optimiser en ce moment, oui la nutrition, mais c’est surtout le sommeil et le repos. J’essaie de viser neuf heures par nuit. »

Il racontera plus tard dans la journée aller au lit vers 21 h 30, en limitant les écrans au moins 30 minutes avant de se diriger dans les bras de Morphée. Tout ça dans le but d’arriver paré à son entraînement du lendemain.

Chaque fois que je m’entraîne, je dois être à 100 % pour optimiser l’entraînement. Si je prévois faire quatre heures et que la dernière heure, je ne me sens pas bien, je vais couper, ça ne vaut pas la peine, je vais l’ajouter à mon plan la semaine suivante. J’aime mieux faire une heure en bonne forme qu’une heure sans qualité. Je veux que ce soit 100 % qualité.

Antoine Cyr, fondeur

Cyr et ses coéquipiers reprendront donc le collier dans les prochains jours. Au cours de l’hiver, le Québécois débarquera en Finlande, en Suisse, en Norvège, en Italie, en Allemagne et aux États-Unis.

« En Coupe du monde, les gens pensent qu’on voit du pays, précise l’olympien. Mais la réalité, c’est qu’on s’entraîne, on se repose, on mange et on skie. À Davos, on ne va pas se promener. Avant l’année passée, j’avais atterri sept fois à l’aéroport, mais je n’étais jamais allé dans la ville. Je l’ai juste visitée l’an passé. On est vraiment là pour notre travail, au bout du compte. »

PHOTO NORDIC FOCUS, TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM D’ANTOINE CYR

Le fondeur québécois Antoine Cyr

Il tient toutefois à profiter de ces moments où il est sur le Vieux Continent, car il sait qu’ils sont éphémères, dans une certaine mesure.

« J’ai fait deux heures de ski, je m’en vais à l’hôtel et il y a un dîner qui m’attend, un massage en après-midi et je dois skier après. Je ne suis pas à plaindre ! C’est toute une vie. Je n’aime pas parler de sacrifices, mais c’est un bon mélange de choix et d’amusement. Et l’amusement, c’est important, parce qu’on n’est pas là pour l’argent ! »

Une vie réussie

Au bout d’une heure, Cyr nous donne rendez-vous chez lui, à 45 minutes de la grande ville.

La journée est adulte et le soleil est enfin le personnage principal du paysage. Le mont Sainte-Anne est monumental.

Le skieur originaire de Gatineau s’est fait un nid au pied de la montagne. Il est presque 15 h et Cyr est en train de se faire un café.

Barista à ses heures, il s’est procuré une machine pour faire lui-même ses boissons caféinées. En ce milieu d’après-midi, juste avant d’aller à la salle d’entraînement, il se sert une petite tasse de ce qui semble être un flat white. « C’est quand même fort », lance-t-il.

Dans son cabanon, des skis. Beaucoup de skis. Sur les murs, au sol et au plafond, posés sur les poutres de bois. La quantité de souliers et de bottes Salomon est tout aussi stupéfiante. Sur l’établi, des canards en attente d’être déplumés.

On sort par la cour et une fois dans sa voiture, Cyr met le cap sur le CNEPH. Vitres baissées, lunettes de soleil au visage et une pièce de Jay-Z mise sur pause. Une discussion sur les coulisses du circuit de la Coupe du monde prend forme.

« C’est sûr qu’il y a une différence [entre les skieurs], parce que dans le sport amateur, les ultradominants, dans leur pays en Europe, ce sont des superstars. Tout le monde les connaît. Mais après, tu n’as pas besoin de descendre loin dans la liste des résultats et là, tu commences à ne plus reconnaître les noms. »

Dorénavant, Cyr fait partie des meilleurs fondeurs au monde, ayant terminé 16e au mythique Tour de ski la saison dernière, avec notamment une 6e et une 4e position. Il se fait même parfois reconnaître à l’aéroport, en Norvège.

PHOTO NORDIC FOCUS, TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM D’ANTOINE CYR

Antoine Cyr a terminé 16e au mythique Tour de ski la saison dernière.

Encore à ce jour, Cyr est émerveillé de pouvoir skier à côté de ses idoles de jeunesse. « Des gars comme [Federico] Pellegrino, qui était là il y a longtemps, j’étais ti-gars et je le regardais gagner des coupes du monde et là je suis à côté de lui et on se bat pour les mêmes courses. Ça reste un émerveillement », dit-il sur une route en pente vers Saint-Ferréol-les-Neiges.

[D’un autre côté], ce que j’apprends, c’est qu’il faut mettre l’émerveillement un peu de côté, pour ne pas me laisser impressionner, parce que j’ai ma place là, je la mérite, et ce n’est pas parce que c’est Pellegrino que je dois le laisser passer.

Antoine Cyr, fondeur

Cyr arrive sur la piste asphaltée de ski à roulettes au mont Sainte-Anne. Sur laquelle il s’entraîne l’été. Un parcours pensé et conçu par Alex Harvey et l’entraîneur Louis Bouchard pour aider les skieurs canadiens pendant la saison chaude. Le parcours, en matière de degré de difficulté, se compare aux pistes de la Coupe du monde.

Le skieur roule sur la piste en décrivant les moindres recoins. Et pourquoi telle pente ou tel virage fait de ce parcours un essentiel dans la préparation des athlètes.

Le soleil approche de la retraite et Cyr s’apprête à aller faire son dernier entraînement en salle de la journée.

Il gare sa voiture dans l’allée et il est incapable de cacher la joie sur son visage lorsqu’on lui souhaite bonne chance pour la saison à venir.

Il voyagera, skiera et, ultimement, fera ce qu’il aime. Et ce pour quoi il a travaillé toute sa vie. Il n’échangerait son quotidien pour rien au monde.

« Et ce n’est pas tout le monde qui peut dire ça. »