Les journalistes et photographes japonais occupaient la majorité des tables au salon Jacques-Beauchamp mardi matin. Pour les Championnats du monde de patinage artistique de Montréal, l’aire de restauration des médias au Centre Bell a temporairement été transformée en salle de presse.

Avec le décalage horaire de 15 heures avec l’Asie, les collègues nippons étaient affairés à mettre la dernière touche à leurs papiers de présentation en vue du début des compétitions, mercredi midi, avec le programme court de l’épreuve en couple. Les Québécois Deanna Stellato-Dudek et Maxime Deschamps réussiront-ils d’entrée de jeu à mettre la pression sur les champions en titre, les Japonais Riku Miura et Ryuichi Kihara, qu’ils ont devancés à deux reprises cette saison ?

En soirée, Kaori Sakamoto amorcera sa tentative de conquête d’une troisième médaille d’or consécutive, du jamais-vu chez les femmes depuis les trois sacres de l’Américaine Peggy Fleming entre 1966 et 1968. La Japonaise de 23 ans, dont les chorégraphies sont signées par les Canadiens Jeffrey Buttle et Marie-France Dubreuil, a tout balayé sur son passage en 2023-2024, incluant les Internationaux Patinage Canada, la finale du circuit Grand Prix et les Championnats des quatre continents. Seule Canadienne en lice, l’Ontarienne Madeline Schizas, dont les parents sont originaires de Montréal, visera une place parmi les 10 premières.

PHOTO CHRISTINNE MUSCHI, LA PRESSE CANADIENNE

Kaori Sakamoto

Le calme monacal du salon Jacques-Beauchamp a été un tantinet perturbé par l’arrivée d’Alain Goldberg, qui venait d’assister aux séances d’entraînement des hommes. L’érudit analyste de Radio-Canada s’est lancé dans une grande conversation avec Ghislain Briand, éminent entraîneur québécois qui s’est spécialisé dans l’enseignement des sauts. Parmi ses huit élèves qui s’aligneront à Montréal se trouve le Japonais Shoma Uno, qui visera lui aussi une troisième couronne de rang (après deux médailles d’argent).

Alain Goldberg faisait partager ses plus récentes découvertes sur la biomécanique des sauts quand La Presse s’est invitée dans la discussion, qui s’est forcément rapprochée des pâquerettes.

En 2020, Ghislain Briand, un Montréalais d’origine gaspésienne, était l’entraîneur de sauts de Yuzuru Hanyu, la supervedette japonaise, double champion olympique en titre à l’époque. Sa présence avait grandement dynamisé les ventes de billets auprès de ses compatriotes, avant que les Mondiaux de Montréal ne deviennent le premier évènement sportif d’envergure annulé au Québec au tout début de la pandémie de COVID-19.

Deux ans plus tard, Hanyu s’est retiré après sa quatrième place aux Jeux de Pékin, où il est devenu le premier patineur de l’histoire à être crédité d’une tentative de quadruple Axel en compétition.

« Avec Yuzuru ici, ils en auraient vendu, des billets », a glissé Ghislain Briand, faisant écho à l’intérêt populaire plus faible pour ces Mondiaux rapatriés par Patinage Canada. Si vendredi et samedi se profilent comme de bonnes journées (potentiellement 7000 spectateurs sur une capacité réduite de 8400 sièges), le comité d’organisation se borne à indiquer qu’il reste des places pour mercredi et jeudi.

Un peu de patience…

La présence de Shoma Uno, dont l’entraîneur principal est le Suisse Stéphane Lambiel, annonce pourtant une intéressante confrontation avec le jeune Américain Ilia Malinin, dit le « dieu du quad », gagnant de la finale du Grand Prix en décembre et premier auteur d’un quadruple Axel réussi en compétition. (Goldberg s’attend à voir un quintuple saut réussi d’ici deux ans.)

Adam Siao Him Fa, qui a battu et Uno et Malinin cette saison, est un autre concurrent intrigant. Déjà assuré d’une deuxième médaille d’or, le Français de 18 ans s’est même autorisé un périlleux arrière interdit à la fin de son programme libre aux derniers Championnats d’Europe.

Ce n’est pas encore assez pour soulever les passions, juge Philippe Candeloro, lui-même un ancien adepte du salto qui s’était fait connaître avec des personnages colorés (Conan, Napoléon, D’Artagnan et son fameux boxeur en spectacle) au cours d’une carrière qui lui a valu deux médailles de bronze olympiques dans les années 1990.

« On a des super champions, mais on n’arrive plus à avoir de stars, en fait », a nuancé celui qui agira comme analyste pour France Télévisions, après s’être greffé à l’échange à l’invitation d’Alain Goldberg.

PHOTO GEOFF ROBINS, AGENCE FRANCE-PRESSE

Shoma Uno

Candeloro regrette un certain conformisme et un unanimisme dans les entrevues. « Pour devenir une vedette, il faut ouvrir les portes et les laisser ouvertes », a-t-il plaidé.

Il souhaiterait plus de couleur, de personnalité : « Tu prends une interview de tout le monde, c’est toujours la même chose : ah ouais, je suis content, j’étais en pleine forme, je me suis entraîné dur pour ça. Que veux-tu raconter de plus sans avoir peur de dire une connerie qui va déraper ? Parce qu’aujourd’hui, avec tout le politiquement correct, le wokisme, tu prends des risques chaque fois que tu sors d’expressions validées par un avocat. »

Pour Marie-France Dubreuil, jointe en fin d’après-midi, il s’agit simplement de faire preuve d’un peu de patience avant qu’une autre figure emblématique ne prenne la place.

« Quand une grande star comme Hanyu quitte le sport, ça prend un peu de temps avant que quelqu’un prenne la place », a expliqué l’entraîneuse spécialisée en danse (voir autre texte). Elle souhaite que Sakamoto, qui s’entraîne dans la métropole au printemps, puisse vivre « son moment » au Centre Bell.

Il faut être ouvert aux nouveaux qui arrivent et qui amènent d’autres choses.

Marie-France Dubreuil

Après trois quarts d’heure d’échanges et de piques amicales, MM. Goldberg, Briand et Candeloro ont pris la direction des gradins pour assister à une séance d’entraînement des femmes. L’objet principal de leur attention : Loena Hendrickx. Double médaillée aux Championnats du monde, gagnante des Championnats européens et lauréate du prix du meilleur costume au récent gala de l’International Skating Union, la Belge se distingue par la grâce et l’élégance de ses performances.

Pour ma part, avec quelques collègues, j’ai sagement suivi le cours « patinage 101 » gracieusement offert aux médias par Patinage Canada, au cours duquel la juge professionnelle Fanny-Ève Tapp s’est chargée de démystifier le « nouveau » système de pointage et d’autres subtilités du patinage artistique.