Laurence St-Germain avait prévu étudier pour son examen de biologie moléculaire du lendemain. Lundi, elle était plutôt assise dans la salle de rédaction de La Presse, sa sixième de la matinée après avoir fait le tour des télés et radios.

Une demi-heure plus tôt, elle courait sur le trottoir vers les studios de TVA quand elle a réalisé que sa médaille d’or ballottait à son cou. La Fédération internationale de ski ne lui a pas remis de boîtier pour ranger son précieux flocon doré…

Les 48 heures qui ont précédé ont passé comme un tourbillon pour la nouvelle championne du monde de slalom.

« On dirait que j’ai à peine le temps de respirer et de vraiment l’apprécier, a soufflé St-Germain. C’est complètement fou ! »

PHOTO JEFF PACHOUD, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Laurence St-Germain sur le podium après sa victoire aux Championnats du monde

Après les entrevues d’usage et le test d’antidopage samedi, elle a piqué une course avec son physiothérapeute pour attraper la dernière gondole menant justement à La Folie douce, célèbre restaurant festif dans les hauteurs de Méribel Courchevel, où skieuses et entraîneurs célébraient l’ultime épreuve féminine de ces Mondiaux.

L’arrivée de la gagnante du slalom a été dûment soulignée : « Je me suis fait offrir beaucoup de champagne ! »

Avant la remise des médailles en soirée au cœur du village, elle a reçu les félicitations chaleureuses de ses rivales, dont la championne olympique Petra Vlhová (5e).

« Je les connais bien, mais je suis plus gênée, plus réservée. Je ne suis pas toujours le centre d’attention, ça m’a donc vraiment touchée que les filles soient fières. Je les ai senties sincères. »

Célébrée devant des milliers de personnes, la cérémonie a été « émouvante », le moment pour elle de commencer à prendre la mesure de son exploit.

Je n’exprime pas facilement mes émotions. Entendre l’hymne national, voir les drapeaux monter… Je regardais ma médaille qui voulait dire : aujourd’hui, je suis la meilleure au monde, personne n’a été plus vite que moi. C’est le plus fou. J’étais LA plus vite. Ça fait vraiment bizarre d’y penser…

Laurence St-Germain

Surtout sachant qu’elle a battu Mikaela Shiffrin par plus d’une demi-seconde, un truc presque impossible à concevoir. La médaillée d’argent lui a d’ailleurs servi de guide sur l’estrade.

« Je l’ai regardée : on fait quoi ? Je ne savais pas trop où aller. Elle a dit : “OK, là, on va prendre des photos.” Elle m’a coachée pour que je sache où regarder… J’ai trouvé ça super gentil. »

PHOTO LEONHARD FOEGER, REUTERS

Les médaillées d’argent Mikaela Shiffrin et de bronze Lena Dürr entourent Laurence St-Germain.

Après un passage au party de Rossignol, où elle a enfin pu casser la croûte et rencontrer les employés qui fabriquent ses skis, elle a fini la soirée avec ses coéquipières de l’équipe canadienne et des amis de l’époque où elle évoluait à l’Université du Vermont. Elle est presque gênée de dire qu’elle est rentrée à l’aurore…

Le lendemain, elle était assise dans un avion à Genève, en partance pour Montréal. Pour la première fois, elle a fait défiler les centaines de messages de félicitations sur son écran de téléphone. Celui de Mélanie Turgeon, son idole de jeunesse et dernière championne du monde canadienne, l’a particulièrement touchée.

Quelques membres de sa famille l’attendaient à l’aéroport dimanche soir. À peine a-t-elle eu le temps d’avoir ses parents et son frère au téléphone. À son retour à son appartement près de Polytechnique Montréal, où elle fait un baccalauréat en génie biomédical, elle a croisé l’une de ses trois colocs. Celle-ci lui a demandé si ça avait bien été…

« Je me suis laissée y croire »

La victoire de St-Germain est d’autant plus étonnante qu’elle survient après une saison – et même deux – marquée par plus de bas que de hauts. Sa septième place en Coupe du monde en Tchéquie, trois semaines plus tôt, a représenté un tournant. Une analyse vidéo lui a donné une idée précise des aspects à travailler sur la neige.

« J’ai fait plein d’exercices en ski libre, complètement seule. Ça m’a aidée à savoir quoi faire, quoi sentir. »

Une rencontre presque fortuite avec son frère aîné William, venu s’entraîner avec elle une journée en Italie, a été un vent de fraîcheur. À 30 ans et maintenant ingénieur, celui-ci fait un retour en compétition après une absence de plus de quatre ans.

À la première descente, elle n’a cédé que trois dixièmes dans le mur. « Ça m’a surprise et aidée à croire que je skiais vite. Mais c’était surtout cool de parler de ski avec lui, de se regarder descendre et s’entraider. C’était comme avant quand on skiait ensemble. C’était très cool de revivre ça avec lui. Il me connaît mieux que quiconque, comme personne et comme athlète. J’ai senti qu’il était impressionné par mon ski et comment je travaillais. Ça a confirmé ce que je pensais. »

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Laurence St-Germain et sa précieuse médaille

La veille de sa course, Laurence St-Germain a très mal dormi, un signe plutôt positif dans les circonstances. « C’était un stress du type : je sais que je suis capable. Ça montre que bien faire te tient vraiment à cœur. »

Elle a parlé avec sa préparatrice mentale, Christiane Trottier, une professeure de psychologie à l’Université Laval avec qui elle travaille depuis deux ans. Elle l’aide à se mettre dans les bonnes dispositions avant le départ. Détendue et souriante, mais prête à attaquer.

Sur cet aspect aussi, il y a eu un cheminement. « C’est la première course où je me suis laissée y croire, a-t-elle résumé. Laissée croire que j’étais capable de faire un résultat exceptionnel avec le ski que j’avais. »

Un peu plus loin dans l’entrevue, elle précise sa pensée : « Ça peut paraître bizarre à dire, mais c’est comme si j’avais peur de me laisser réussir, d’être deuxième ou troisième après la première manche et d’être déçue ensuite et ne pas garder ma place sur le podium. »

Justement, après sa troisième position à la manche initiale, elle a refusé de voir la vidéo et s’est tenue à distance de ses entraîneurs. Sa coéquipière Ali Nullmeyer a émis le commentaire le plus rassurant : « Tu n’as pas besoin d’être stressée, tu as skié exactement comme à l’entraînement. Tu n’as pas fait quelque chose dont tu n’es pas capable. »

De fait, sans être parfaite, St-Germain a réalisé la descente ultime nécessaire pour monter sur le podium et, à sa plus grande surprise, sur la plus haute marche.

En quittant La Presse, la nouvelle championne souhaitait joindre sa professeure de biologie qui s’est montrée ouverte à repousser l’examen…

Sur les skis de l’ancienne championne

PHOTO FABRICE COFFRINI, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Laurence St-Germain en action samedi dernier

Fait cocasse, Laurence St-Germain a remporté son titre de slalom sur des skis d’abord destinés à l’Autrichienne Katharina Liensberger, sa prédécesseure comme championne du monde de slalom. « Ils ont été fabriqués pour Katharina l’année dernière et finalement, je pense qu’elle ne les a pas aimés, a expliqué la Québécoise de 28 ans. Je les ai essayés et j’ai dit : OK ! » Comme la grande Petra Vlhová, porte-étendard de Rossignol, St-Germain skie sur des planches de 160 cm, donc plus longues que pour la moyenne des compétitrices sur le circuit. Après un hiver difficile, Liensberger n’a pas été en mesure de renverser la tendance à Méribel, se contentant du 20e rang en slalom et du 24e en géant.

Ève Routhier à la rescousse !

Débordée par les demandes des médias et les sollicitations sur les réseaux sociaux, St-Germain a lancé un appel à l’aide à son amie Ève Routhier, ex-skieuse de l’équipe canadienne. « Mes coéquipières se moquent de moi parce que je ne suis vraiment pas sur les réseaux sociaux. C’est donc Ève qui me donnait déjà un coup de main. » Bachelière en communication, celle-ci a donc débarqué à Montréal pour aider la nouvelle championne du monde à traverser cette tempête imprévue.