De sa chambre d’hôtel en bordure des pentes à Méribel, Marie-Michèle Gagnon profite d’une vue imprenable sur la piste du Roc de Fer, théâtre des épreuves féminines des Championnats du monde de ski alpin.

Du bout du doigt qu’elle glisse devant l’écran de son téléphone, elle trace l’entièreté de sa trajectoire, du portillon de départ, au milieu des rochers, jusqu’à l’arrivée, qu’elle peut rejoindre en quelques minutes en skis. Le soleil brille encore en cette fin d’après-midi. Les Alpes sont évidemment magnifiques.

En début de semaine, Gagnon a dévalé la piste du Roc de Fer dans le cadre du combiné alpin et du super-G. Cela ne s’est pas passé comme elle le souhaitait, même si ses attentes étaient modérées après une chute spectaculaire subie à Cortina d’Ampezzo, le 20 janvier. Elle en avait essuyé une autre « pas pire » avant le début de la saison dans le Colorado.

Privée de sa confiance habituelle sur les planches, toujours aux prises avec une fracture à un pouce, elle a choisi de ne pas disputer la descente de ses huitièmes et derniers Championnats du monde.

Ce n’est pas le scénario rêvé, mais elle préfère prendre un pas de recul pour mieux se relancer vers les trois dernières Coupes du monde, dont les finales de Soldeu, en Andorre, où, le 16 mars, elle tirera un trait sur une carrière de 16 saisons dans le cirque blanc sous les couleurs de l’équipe canadienne.

À 33 ans et après plus de deux décennies dans le ski alpin de compétition, la fierté de Lac-Etchemin, dans la région de Bellechasse, est prête à passer à de nouvelles aventures.

Sans qu’elle puisse se l’expliquer, Gagnon a « senti » au mois de décembre que son parcours se terminerait à la fin de l’hiver.

« À partir de là, on aurait dit que c’était plus difficile pour moi de prendre les risques », a-t-elle révélé jeudi en visioconférence avec La Presse, en amont d’une conférence de presse de la France vendredi.

« Je ne suis pas à un endroit où je peux vraiment performer aux Mondiaux à cause de mes chutes. Je dois aller m’entraîner et retrouver la confiance. Il reste quand même trois super-G et deux descentes cette saison et je crois toujours en moi. »

Une décision mûrement réfléchie

Avant même son arrivée en Haute-Savoie, Gagnon avait choisi d’annoncer sa retraite dans le cadre idyllique des Championnats du monde.

« Peut-être que ça va m’aider à me libérer, même si ce n’est pas l’idée première, a-t-elle précisé. Je veux pouvoir le partager avec les gens et tirer avantage des dernières courses. »

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

Marie-Michèle Gagnon, en eptembre 2018

Je vais pouvoir vivre ces beaux moments sachant que tout le monde est au courant. Dans un monde idéal, j’aimerais évidemment bien performer, mais aussi sortir de ça avec le cœur léger.

Marie-Michèle Gagnon

Tuque sur la tête, en t-shirt et legging, Gagnon revenait tout juste du super-G masculin, sur l’autre versant à Courchevel. Accompagnée de ses amies italiennes Marta Bassino et Federica Brignone, couronnées en super-G et au combiné plus tôt cette semaine, elle a assisté à la victoire historique de son compatriote Jack Crawford.

La Québécoise y était aussi et surtout pour suivre la course de son partenaire de vie, l’Américain Travis Ganong, 30e.

Le Californien de 34 ans, qu’elle a rencontré lors d’une compétition en Alberta en 2006, a également dévoilé qu’il se retirerait à la fin de l’hiver après la première descente de Kitzbühel, le 20 janvier. « Lui, ça l’a comme libéré. C’est comme s’il voyait la lumière au bout du tunnel. Ça lui prenait cette motivation. »

Le lendemain, il est monté sur la troisième marche du podium sur la mythique Streif, réalisant ainsi un rêve d’enfance.

PHOTO BARBARA GINDL, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Le 21 janvier dernier, l’Américain Travis Ganong a décroché la troisième place lors de la descente de Kitzbühel, en Autriche, au lendemain de l’annonce de sa retraite de la compétition au terme de la présente saison.

« Je suis contente pour lui qu’il ait vécu un peu une fin en conte de fées. Là, il a accompli tout ce que son cœur souhaitait. Je ne pense pas que ça me met de la pression ou que ça m’inspire. Ça me rend très fière. Moi, que j’aie ou non une fin en conte de fées, je suis correcte avec ça. Je ne manque pas de motivation. J’en ai parfois pour deux… »

La polyvalence, une grande fierté

La représentante du club du Mont-Orignal peut déjà s’enorgueillir de 272 départs en Coupe du monde depuis son premier à La Molina, en 2008, à l’âge de 19 ans.

Elle revendique cinq podiums, dont deux victoires en combiné en 2014 et 2016. Elle s’est d’abord distinguée en slalom, discipline où elle a atteint le sixième rang mondial en 2014. Depuis les Jeux olympiques de PyeongChang, qu’elle a ratés après une grave blessure à un genou en 2017, elle s’est presque exclusivement consacrée aux épreuves de vitesse, le super-G et la descente, son premier amour.

Aux derniers JO à Pékin, ses troisièmes, elle a terminé au huitième échelon en descente. Aux Mondiaux de Cortina de 2021, elle s’est classée sixième en super-G. Deux semaines plus tôt, elle a terminé troisième dans la même spécialité à Garmisch-Partenkirchen, son premier podium en vitesse en Coupe du monde. Son dernier grand rêve serait de réaliser l’exploit en descente.

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Marie-Michèle Gagnon célèbre sa troisième place lors de l’épreuve du super-G à la Coupe du monde de Garmisch-Partenkirchen, en janvier 2021.

L’hiver dernier, sa cinquième place à la descente de Zauchensee, lieu de son premier succès en combiné, lui a permis de cocher une autre réussite : avoir fini au moins une fois parmi les cinq premières dans toutes les épreuves (slalom, géant, super-G, descente, combiné et parallèle urbain).

Je n’ai pas connu autant de succès que [Mikaela] Shiffrin ou les autres grands noms dans le monde du ski, mais j’ai toujours été polyvalente et c’est l’une de mes plus grandes fiertés.

Marie-Michèle Gagnon

« Une famille sur la route »

Au-delà de ses réussites individuelles, cette skieuse issue d’une famille de cinq enfants se souvient encore plus des grands moments d’euphorie collective. Elle relève en particulier les victoires de ses amies Erin Mielzynski, en slalom en 2012, et Valérie Grenier, en slalom géant le mois dernier, deux briseuses de barrières pour le ski alpin canadien.

« Ce sont des filles avec qui tu partages ta vie, essentiellement. C’est une famille sur la route, en fait. Il y a tellement plus que les victoires, comme toutes ces fois où on a ri à en pleurer… Ou quand l’entraînement est parfait, que la neige est belle et que tu as juste la sensation d’être invincible. Ce sont les moments dont je vais m’ennuyer le plus. »

Celle que tout le monde surnomme « Mitch » n’a pas de plans précis pour son avenir immédiat, sinon celui de rayonner en campeur avec Travis autour de leur résidence de Lake Tahoe et de voyager pour visiter des amis sans penser aux séances du lendemain.

« On s’est beaucoup promenés dans le monde, mais on n’avait pas tant de liberté. »

Elle et son amoureux ont entrepris un programme de mentorat à la Harvard Business School où ils sont appelés à développer leur sens des affaires avec des étudiants au MBA.

Pour le reste, Marie-Michèle Gagnon veut apprendre à se connaître à l’extérieur du sport de compétition et garde les portes ouvertes : « Une chose est certaine cependant, vous allez continuer de me voir dévaler les pentes, juste pas en spandex ! »