Les Ukrainiens ayant quitté leur pays pour fuir la détresse depuis le début de la guerre se comptent par millions. Parmi eux, un jeune couple de patineurs qui a atterri à Montréal peut enfin percevoir la lumière et rêver à nouveau.

Sous le son atroce des bombes et des cris, Kyryl Bielobrov et Mariia Holubstova ont quitté Kiyv et sont arrivés au Québec quatre mois après les premières attaques russes.

Ils peuvent enfin souffler un peu. Ils sont sains et saufs. En revanche, ils sont conscients de leur chance.

« Nos parents sont finalement venus nous rejoindre, mais nos familles sont encore en Europe. Je pense beaucoup à ma grand-mère qui est quelque part en Allemagne », explique Holubstova.

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Mariia Holubtsova discute avec son entraîneuse Josée Piché.

L’Académie de glace de Montréal, de Patrice Lauzon et Marie-France Dubreuil, leur a donné une occasion exceptionnelle. Celle de vivre la vie qu’ils méritent.

Aux abords de la patinoire Sylvio-Mantha, au Complexe récréatif Gadbois, les deux danseurs d’à peine 22 ans sont facilement reconnaissables. Vêtus de bleu et de jaune, ils s’amusent. Et ils sourient. Deux choses devenues moins fréquentes au cours de la dernière année.

La route vers le Canada n’a pas été de tout repos, expliquent-ils dans un anglais plus que respectable. « Nos patins et notre équipement se sont perdus en chemin. » Ainsi, ils ont dû non seulement repartir à zéro dans un pays étranger, mais aussi trouver le moyen de renouer avec leur sport, ce pour quoi ils avaient pris un aller simple pour le Canada.

« On n’y est pas retourné depuis, c’est trop dangereux », précise Bielobrov.

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Mariia Holubtsova et son entraîneuse Josée Piché

Un accueil chaleureux

Bielobrov et Holubstova ne s’attendaient à rien en arrivant. Quitter leur terre natale était déjà une victoire.

Ils ont toutefois trouvé facilement leurs repères dans la métropole. « Ça ressemble à Kiyv, précise la petite patineuse. Il y a des ponts, des rivières et de l’espace. »

Le duo a été stupéfait de constater à quel point les Québécois étaient généreux.

La gentillesse de gens m’a surprise. On sent beaucoup plus de soutien qu’en Europe. Les gens viennent vers nous s’ils savent qu’on est Ukrainiens.

Mariia Holubtsova

Les deux patineurs étaient gênés de raconter leur histoire. Possiblement affligés par la culpabilité d’avoir été sauvés quand nombre de leurs compatriotes risquent encore leur vie pour repousser les troupes russes.

Leur quotidien est drôlement plus agréable à Montréal. Chaque jour, ils se réveillent sachant qu’une vie meilleure les attend.

« Ici, il n’y a pas de pleurs. Pas de batailles. On espère rester longtemps. On est bien ici », précise Holubstova en regardant son coéquipier.

« C’est facile d’avoir du plaisir ici. Je suis heureux quand je patine. Ça nous fait penser à autre chose », ajoute-t-il.

À la base, il n’était pas prévu d’ouvrir le calepin et d’aller à leur rencontre. C’est simplement qu’une histoire comme celle-là mérite d’être racontée.

Pourtant, pendant une demi-heure d’entrevue en matinée, l’olympienne Marjorie Lajoie n’a jamais soulevé le fait qu’à leur arrivée, les deux patineurs avaient habité avec elle et sa famille dans leur maison sur la Rive-Sud. Ce sont les Ukrainiens qui en ont fait mention.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM DE MARIIA HOLUBTSOVA

Marjorie Lajoie et Mariia Holubstova

« On avait une chambre. Ils sont restés plusieurs mois. Ils ont passé Noël chez nous. Ils font partie de la famille maintenant », a expliqué Lajoie du bout des lèvres, sur le bord de la bande en plein entraînement, lorsqu’interpellée brièvement sur le sujet.

« Je n’en parle pas parce que je ne veux pas que les gens pensent qu’on a fait ça pour avoir l’attention ou pour en parler justement », évoque-t-elle avant de repartir en glissant de reculons.

La fierté de patiner

Bielobrov et Holubstova ne sont pas seulement des survivants. Ils sont d’excellents patineurs. Les meilleurs d’Ukraine. C’est ce qui les a sauvés.

« Notre rêve est d’aller aux Olympiques », précise Holubstova. Elle évoque cet objectif, car ils peuvent penser à long terme pour la première fois depuis un bail. Selon leur entraîneur Patrice Lauzon, ils ont encore des trucs à travailler, mais ils ont certainement ce qu’il faut pour y arriver.

Lauzon croit tellement en eux que c’est son Académie qui s’est occupée de soutenir financièrement le duo dans ses différentes dépenses. Une chance inouïe, reconnaît Bielobrov. « Nous, on veut juste vivre », insiste-t-il en regardant son amoureuse.

En effet, cette histoire en est aussi une d’amour. Un conte mettant en lumière un jeune couple fuyant la guerre en quête d’une vie meilleure.

Dorénavant, patiner pour leur pays aura une tout autre signification. Les deux sportifs savent qu’ils ne peuvent sauver personne, mais ils sont convaincus qu’en patinant, ils peuvent sécher des larmes. Holubstova se sent investie d’une mission beaucoup plus importante que de remporter une médaille. « On veut juste rendre fier notre pays. On a vu trop de gens pleurer. On veut changer ça, à notre manière. »