Jean-Guy Talbot n’a pas laissé derrière lui l’empreinte indélébile des Richard, Plante ou Béliveau, grandes vedettes avec lesquelles il a évolué dans les années 1950 et 1960. Il demeure toutefois l’un des plus grands joueurs de la riche histoire du Canadien de Montréal.

À 91 ans, l’ancien défenseur a rendu son dernier souffle jeudi soir à Trois-Rivières. Il était hospitalisé depuis plusieurs jours.

Né en 1932 au Cap-de-la-Madeleine, en Mauricie, Talbot a remporté la Coupe Stanley à sept reprises, toutes avec le Tricolore, un exploit que seuls huit autres joueurs ont accompli dans l’histoire de la LNH.

Avec Maurice Richard, Dickie Moore, Bernard Geoffrion et Jean Béliveau, entre autres, il a fait partie des « 12 apôtres » qui ont monopolisé la Coupe pendant cinq années de suite, de 1956 à 1960. Aucune équipe n’a jamais égalé ou dépassé ces cinq conquêtes consécutives.

Même s’il n’était pas la principale tête d’affiche du club, il a joué un rôle névralgique au sein de cette dynastie, et encore au cours de la décennie 1960, pendant laquelle il a ajouté deux Coupes à son palmarès, en 1965 et en 1966. Adepte du jeu robuste sans être un géant, il a terminé sa carrière avec plus de 1000 minutes de punition. Il a en outre amassé 285 points en 1056 matchs de saison, ajoutant 30 points en 150 matchs de séries éliminatoires.

PHOTO PAUL CHIASSON, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Jean-Guy Talbot lors d’un évènement à Ottawa, en 2007

Les premières dépêches rapportant sa mort, vendredi matin, ont fait état d’un joueur ayant évolué dans l’ombre des géants de son époque.

Serge Savard, devenu un grand ami après leur carrière respective, s’inscrit en faux avec cette image.

Ses sept Coupes Stanley, c’est le deuxième total le plus élevé de l’histoire pour un défenseur. Il a aussi connu du succès comme entraîneur dans les ligues mineures. S’il était considéré dans l’ombre, c’est parce qu’il avait 91 ans !

Serge Savard

Savard, qui a signé la préface de la biographie de Talbot publiée il y a quelques mois, souhaite aussi déboulonner l’idée reçue selon laquelle il était un défenseur à caractère strictement défensif. Il a en effet amassé 47 points en 1961-1962, au deuxième rang de tous les défenseurs de la ligue. Ce sommet personnel lui a valu une troisième place au scrutin du trophée Norris cette saison-là.

« Il se portait à l’attaque, mais c’était une époque où, dans l’organisation du Canadien, un défenseur n’avait pas le droit de se commettre passé la ligne bleue adverse, explique Savard. Tu avais le droit de prendre une chance, mais il ne fallait pas se faire prendre. »

Grand frère

Après avoir évolué dans les rangs juniors avec les Reds de Trois-Rivières, puis au hockey sénior avec les Aces de Québec, Jean-Guy Talbot a disputé, à 23 ans, sa première saison complète dans la LNH avec le Canadien.

À ses débuts chez les professionnels, il a eu comme mentors certains des plus grands défenseurs de l’histoire du club – Émile Bouchard, Doug Harvey, Tom Johnson… Il a ensuite joué un rôle de grand frère auprès de coéquipiers plus jeunes, comme Jacques Laperrière, Jean-Claude Tremblay ou Terry Harper.

Jeune attaquant rapide et talentueux, Yvan Cournoyer a rencontré Talbot alors qu’il évoluait encore chez le Canadien Junior. Il a le souvenir d’un vétéran qui l’a accueilli à bras ouverts lorsqu’il a fait le saut avec le grand club.

« Comme on s’entraînait au Forum, on avait la chance, après nos pratiques, de discuter avec des joueurs du Canadien, dont Jean-Guy, raconte le Roadrunner. On se sentait choyés. Quand je suis arrivé, à 19 ans, c’était plus facile d’arriver dans le vestiaire en connaissant quelques joueurs. »

Des piliers comme Talbot « nous ont montré comment gagner », affirme Cournoyer.

PHOTO PIERRE-YVES LÉTOURNEAU, ARCHIVES LA PRESSE

Jean-Guy Talbot, vu ici lors d’un match au Forum de Montréal en 1966

En 1967, après 12 saisons complètes à Montréal, Talbot a dû boucler ses valises lorsque les North Stars du Minnesota l’ont réclamé au repêchage d’expansion, qui a vu le nombre d’équipes de la LNH doubler, passant de 6 à 12.

Le défenseur n’a pas fait de vieux os au Minnesota. Après seulement quatre rencontres, il a été échangé aux Red Wings de Detroit. Puis ces derniers ont soumis son nom au ballottage quelques semaines plus tard.

Derrière le banc des Blues, un jeune entraîneur-chef montréalais s’est frotté les mains de satisfaction à l’idée de diriger son compatriote. Scotty Bowman, 34 ans, avait ainsi la chance d’ajouter un vétéran au groupe qu’il dirigeait.

Bowman, qui est aujourd’hui âgé de 90 ans, salue un « homme bon » et un « grand joueur d’équipe », qui a consolidé son escouade défensive et son unité de désavantage numérique.

Il nous a aidés à atteindre la finale trois années consécutives. Il avait tellement d’expérience, après toutes ces Coupes Stanley… Il a été un bon leader et un bon coéquipier.

Scotty Bowman

Le mythique entraîneur se souvient aussi d’un farceur hors pair doublé d’un as des mauvais coups, de la trempe de Guy Lapointe, qu’il allait diriger quelques années plus tard à Montréal. Mieux valait ne pas arriver en retard à un entraînement, relate Yvan Cournoyer, car les fautifs risquaient de trouver les lacets de leurs patins coupés à leur arrivée à l’aréna.

Dans une entrevue accordée au Journal de Montréal, il y a quelques années, Talbot lui-même avait avoué que ses victimes préférées avaient été Maurice Richard et Toe Blake, alors que ce dernier était pourtant son entraîneur.

« Toe avait l’habitude de déposer son chapeau sur une tablette et lorsque j’arrivais au Forum, je m’empressais de donner un coup de poing sur le chapeau pour le renfoncer, avait relaté Talbot. Il se doutait bien que j’étais le coupable. Mais l’équipe gagnait souvent et il ne disait rien. »

PHOTO MICHEL GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE

Toe Blake (à gauche) et Jean-Guy Talbot, en 1966, dans le vestiaire du Canadien de Montréal

Fin de carrière

Au début de sa 16e et dernière saison dans la LNH, en 1970-1971, Talbot a été échangé à une autre équipe d’expansion, les Sabres de Buffalo.

Il a alors pris sous son aile un jeune Québécois de 20 ans, Gilbert Perreault. L’ex-attaquant a confié au quotidien Le Nouvelliste à quel point le défenseur avait joué « un grand rôle » dans son intégration, lui qui n’avait alors « aucune expérience ».

Jean-Guy, c’était un gars tout le temps heureux. Il était tellement jovial. Il était toujours positif et il amenait beaucoup d’ambiance au sein d’une équipe.

Gilbert Perreault

Immédiatement après sa retraite, en 1971, les Blues de St. Louis lui ont confié les rênes de leur club-école, les Spurs de Denver, qu’il a mené au championnat de la défunte Ligue de hockey de l’ouest (WHL, en anglais).

Moins de deux ans plus tard, il a pris place derrière le banc des Blues, en remplacement d’Al Arbour, mais a lui-même été remplacé dès la saison suivante.

Après un nouveau passage de deux ans dans les ligues mineures, il a été nommé entraîneur-chef des Rangers de New York par son vieil ami John Ferguson, alors directeur général des Blue Shirts. L’expérience, toutefois, n’a duré qu’une seule saison. Il n’a plus été entraîneur par la suite.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Dans l’ordre : Émile Bouchard (3), André Pronovost (23), Dollard St-Laurent (19), Marcel Bonin (18), Dickie Moore (12), Henri Ricahrd, Phil Goyette (20) et Jean-Guy Talbot (17) lors de la soirée à la mémoire de Bernard Geoffrion, le 11 mars 2006

Tous ceux et celles qui ont croisé Jean-Guy Talbot parlent d’un homme affable et joyeux, « très populaire », dixit Yvan Cournoyer. Il est toujours demeuré un fier ambassadeur du Canadien et est demeuré très proche de ses anciens coéquipiers et entraîneurs.

Au cours des dernières années, il appelait encore Scotty Bowman à son anniversaire. Cournoyer et lui ont longtemps joué au golf ensemble. Serge Savard et lui se parlaient régulièrement au téléphone. Il a fait partie des porteurs du cercueil de Jean Béliveau, lors des funérailles du grand numéro 4 en décembre 2014.

Jusque dans les derniers mois de sa vie, il est demeuré vif et alerte, malgré son âge avancé.

« C’était un gars que je souhaite à tout le monde comme ami », conclut Serge Savard.