Il est 14 h en Suisse lorsque David Reinbacher rappelle La Presse. À cette heure-là, on s’attend à ce qu’un joueur de hockey professionnel soit en voiture sur le chemin du retour, ou carrément à la maison, après un entraînement.

Mais Reinbacher était toujours au Stimo Arena, là où joue l’EHC Kloten. Le défenseur y est pour son deuxième entraînement du jour. Comme des joueurs de la Ligue canadienne de football en camp d’entraînement. Sauf que Reinbacher ne joue pas au football et que sa saison en Suisse tire à sa fin.

« Je le fais tous les deux jours, quand on ne joue pas, explique le 1er choix du Canadien au dernier repêchage. C’était mon idée. Mon début de saison n’était pas facile. J’ai participé au camp à Montréal, je me suis blessé en revenant ici et l’équipe perdait des matchs. Donc je voulais changer des choses et j’ai demandé à l’entraîneur d’habiletés si on pouvait faire quelque chose de différent. »

Son nouvel entraîneur-chef, Stefan Mair, confirme que ce régime d’entraînement est une initiative de Reinbacher.

Ça en dit long sur son désir de s’améliorer, car ce n’était pas notre recommandation.

Stefan Mair, entraîneur-chef des Flyers de Kloten

Les blessures liées au surentraînement sont cependant un risque réel, mais Mair s’en remet au préparateur physique de Kloten. « C’est lui qui a les données, qui analyse le calendrier, rappelle Mair. Il y a eu la pause internationale au début février, donc il a joué peu de matchs dernièrement [deux depuis le 4 février]. Alors en ce moment, la charge de travail n’est pas si mal. Mais c’est au joueur de dire s’il se sent fatigué. »

Une blessure, trois coachs, des défaites

C’est une saison mouvementée – le mot est faible – qu’a connue l’Autrichien de 19 ans.

Ça a commencé en septembre à Buffalo, au tournoi des recrues sous la gouverne de Jean-François Houle. Ça s’est poursuivi au camp d’entraînement du Canadien, au cours duquel il a disputé deux matchs, avec Martin St-Louis derrière le banc. Cédé à Kloten à la fin septembre, il a été accueilli dans la banlieue zurichoise par Gerry Fleming, nouvel entraîneur-chef de l’équipe. Rien d’anormal jusque-là.

C’est ici que ça se complique. Le 19 novembre, Kloten congédie Fleming. Le directeur général du club, Larry Mitchell, descend derrière le banc, pour un intérim de deux mois jusqu’à l’embauche de Mair. Si vous avez bien suivi, il est donc rendu à trois entraîneurs à Kloten, et à cinq dans sa saison.

Pour t’en tirer dans une telle situation, tu dois être un joueur facile à diriger [“coachable”]. Tu dois pouvoir jouer comme l’entraîneur veut que tu joues.

David Reinbacher

Au bout du fil une heure plus tard, Mair reprend exactement le même terme : « coachable ». « Il l’est, assure l’Italien germanophone. Il est curieux, il pose des questions. Il a un bon coffre d’outils, un bon coup de patin. Je lui dis toujours : “Si tu as de l’espace, prends-le, tu peux monter avec la rondelle, car tu es un patineur très puissant.” »

Si Kloten s’est mis à changer d’entraîneur aussi souvent que le CF Montréal, c’est parce que les résultats n’étaient pas au rendez-vous. Les Aviateurs totalisent 15 victoires en 47 rencontres et occupent le 13e et avant-dernier rang de la ligue nationale suisse.

« C’est plus dur de se concentrer sur soi-même, car tu veux aider l’équipe, estime Reinbacher. Donc j’ai pensé à mon jeu, mais j’essayais surtout de penser à l’équipe. La situation a donné quelques maux de tête, mais c’était aussi des leçons.

J’ai vraiment vécu beaucoup de choses. Je suis revenu de Montréal, je me suis blessé. À mon retour au jeu, on a changé d’entraîneur. Puis on perd huit matchs de suite, on en gagne quatre d’affilée, le coach change encore, donc le système change encore.

David Reinbacher

Kloten présente un différentiel de -62 (98 buts marqués, 160 buts accordés) contre -33 la saison dernière. Les statistiques de Reinbacher ont donc souffert.

2022-2023 : 3 buts, 19 passes, 22 points en 46 matchs, différentiel de +7

2023-2024 : 1 but, 10 passes, 11 points en 30 matchs, différentiel de -7

Reinbacher affiche néanmoins un temps d’utilisation identique à celui de l’an dernier, soit près de 19 minutes par match, selon le site spécialisé NL Ice Data. Comme la saison dernière, il passe près de deux minutes par match en avantage numérique, mais ne joue presque pas en infériorité numérique.

Il est toujours parmi nos trois défenseurs les plus utilisés. On ne veut pas non plus lui donner trop de minutes. Il doit être entre 18 et 21 minutes.

Stefan Mair

Mair vante le coup de patin de Reinbacher, mais qu’en est-il des luttes pour la rondelle, des corps-à-corps, certes moins fréquents outre-Atlantique ? « Dans les espaces restreints, dans les coins, devant le filet, il doit s’améliorer et il le sait. C’est une question d’expérience, de positionnement, de savoir comment protéger la rondelle. »

Pour l’accompagner à travers cette saison éprouvante, Reinbacher a reçu la visite de Rob Ramage, directeur du développement des joueurs, de même que Michal Krupa, un dépisteur amateur du CH en Europe. Il a aussi droit à des visioconférences « hebdomadaires » avec le toujours pimpant Adam Nicholas, directeur du développement hockey du Tricolore, qui décortique son jeu sur vidéo. Et il a échangé quelques messages avec Kent Hughes.

En séries à Laval

Kloten conclut sa saison le 4 mars. La suite est inconnue et complexe (voir capsule), mais Reinbacher devrait regagner l’Amérique du Nord au plus tard à la fin mars, à deux ou trois semaines de la fin de la saison ici.

Les échos en provenance du Centre Bell laissent croire que c’est à Laval qu’il se destine. Le jeune homme laisse toutes les portes ouvertes. « Évidemment, on veut tous jouer dans la LNH le plus vite possible. Mais c’est du développement. Je suis ouvert à tout. Ce sera au club de décider. »

Il dit regarder « les faits saillants de tous les matchs ». Mais pas que du Canadien. « J’ai vu que Laval a gagné en tirs de barrage [mercredi] et que Logan [Mailloux] a réussi toute une feinte. C’est une jeune équipe, ils ont recommencé à gagner, c’est bien. »

Le Rocket revient dans la conversation lorsqu’on lui demande s’il prévoit endosser le maillot autrichien au Championnat du monde sénior en mai. « Tu veux toujours jouer pour ton pays. Mais ça dépendra si Laval est en séries. Si c’est le cas, j’aimerais jouer là aussi. »

Fin de saison complexe

Comme bien des championnats européens, le hockey suisse fonctionne avec un système de promotion et de relégation. En gros, les deux pires équipes de la première division se disputent une série 4 de 7 à la fin de la saison. Le perdant affronte le champion de la deuxième division, qui peut donc gagner une promotion en première ligue s’il l’emporte. L’enjeu est énorme, car il existe un gouffre au chapitre des ressources entre les deux échelons. Sauf qu’il y a du sable dans l’engrenage cette saison. L’équipe championne de deuxième division n’est pas automatiquement promue ; elle doit déposer une candidature. Or, la ligue suisse a décidé d’appliquer de façon plus serrée les exigences pour le dépôt d’une candidature, afin de s’assurer qu’une nouvelle équipe admise ait les ressources et les infrastructures pour survivre en première division. Par conséquent, seuls deux clubs de deuxième division ont déposé une demande de promotion : Viège et Olten. Si aucun de ces deux clubs, qui sont actuellement en quarts de finale, ne gagne le championnat de deuxième division, il n’y aurait pas de série de relégation ou, sinon, elle serait jouée pour la forme. Chez le Canadien, on ignore encore quelle tournure prendra la situation, car celle-ci implique des aspects des accords internationaux qui n’ont jamais vraiment été testés. Il est toutefois permis de croire que du moment où la relégation ne sera plus un enjeu, Reinbacher aura le loisir de traverser au Québec pour terminer la saison.