(Kloten, Suisse) Il mesure 6 pi 5 po, il a livré son premier combat dans la LNH contre Rob Ray, et la colonne des minutes de pénalité, dans sa fiche, nécessite toujours trois chiffres.

Ne nous mentons pas : on débarquait à l’entraînement de l’EHC Kloten avec certaines idées préconçues au sujet de Gerry Fleming, le Québécois qui occupe le poste d’entraîneur-chef.

Mais voilà, Fleming siffle, les joueurs se rassemblent au tableau, et il s’adresse à eux avec le ton du préposé à l’accueil de la clinique de massothérapie du quartier. Rebelote 20 minutes plus tard lorsqu’il rappelle ses troupes pour d’autres explications.

Derrière ses allures de dur, Fleming coache néanmoins avec un certain bagage. Jamais repêché, il a joué et étudié à l’Université de l’Île-du-Prince-Édouard. « En psychologie », précise-t-il. Et c’est ce bagage qui ressort lorsqu’on s’assoit dans son bureau après l’entraînement et qu’on lui fait la remarque au sujet de son ton posé.

« Parfois, tu dois hausser la voix. Mais l’important avec les gars aujourd’hui, ce n’est pas tellement le message. C’est comment tu le livres, comment ils le reçoivent, déballe-t-il. Pour plusieurs joueurs, quand tu essaies de corriger leur jeu, c’est du bruit dans leur tête. Ils n’entendent pas de la critique constructive, ils entendent du bruit. Donc, tes remarques doivent être au point. »

PHOTO GUILLAUME LEFRANÇOIS, LA PRESSE

Gerry Fleming

Pas de doute : on le devine capable de hausser le ton au besoin, comme en font foi les quelques mots qui commencent par « f » saupoudrés dans ses explications. Mais il y a néanmoins dans ses propos des relents de l’ancien étudiant en psychologie, ce qu’on lui fait remarquer.

Il part à rire.

« C’est surtout de l’expérience ! Quand j’ai commencé à coacher, tu pouvais arriver… » Il tape dans ses mains, comme pour imiter un entraîneur à l’approche militaire. Puis, il se crispe et grince des dents, incarnant maintenant le joueur ulcéré de l’époque. « Je vais lui montrer, à ce connard. »

« Ça ne fonctionne plus aujourd’hui. La première chose que les joueurs font en sortant d’un entraînement ou d’un match, c’est prendre leur téléphone. Tout de suite. Et là, ils parlent à leurs parents, leur agent, leurs amis. Qu’est-ce qu’ils se font dire ? “Tu es formidable, tu as joué tout un match, tu as fait ci, ça. Pourquoi tu n’as pas joué sur ce jeu ?”

« Moi, je les revois le lendemain matin, je leur montre des vidéos. Et eux, c’est : “Mais de quoi tu parles ? Tout le monde m’a dit à quel point j’étais bon hier.” Tu dois donc comprendre ce qu’ils ont reçu comme message, comment ils sont sur un piédestal. C’est le plus gros défi d’un entraîneur, à mes yeux. »

L’influence de Therrien

C’est un chemin plutôt intéressant qui a mené Fleming derrière les bancs.

Le hockey a toujours occupé une place centrale dans sa vie. Son père travaillait « pour la Ville de Montréal de jour et le soir, il était agent de sécurité au Forum ». Le père lui permettait donc de se faufiler au Forum « au milieu de la première période ».

« Et ma mère travaillait au casse-croûte en face du Forum au coin de De Maisonneuve et Lambert-Closse, The Corner Snack Bar, de 10 h le soir à 6 h le matin », poursuit-il.

Fleming se débrouillait aussi au hockey. Homme fort du Canadien junior de Verdun, il défendait notamment le prometteur Jimmy Carson.

Après sa parenthèse universitaire, il s’est retrouvé dans le club-école du Canadien et a même eu droit à quelques rappels, le temps de disputer 11 matchs avec le Tricolore. Mais il jouait surtout pour le club-école de Fredericton, que Michel Therrien dirigeait en 1997-1998, quand les problèmes de genou l’ont rattrapé de plus en plus. Therrien a donc offert à son protégé de se convertir au coaching.

Ce qu’il a appris de Therrien ? « Gérer le banc, voir des choses et faire des ajustements. Il voyait bien le jeu et faisait les ajustements comme ça », énumère-t-il en claquant des doigts.

Mike [Michel Therrien] m’a appris quoi regarder, comment faire ces ajustements.

Gerry Fleming

Le lecteur attentif aura noté que Fleming a surtout nommé des éléments stratégiques, mais rien sur les relations interpersonnelles. Et on rappelle aussi que Therrien n’était pas exactement réputé pour avoir la jovialité de Gino Chouinard qui reçoit un invité à Salut bonjour.

Fleming sourit. « Mike est bon, mais il a ses manières, convient-il. Je sais qu’il est dur, mais il jappe plus qu’il ne mord. Il a le succès de ses gars à cœur. J’ai beaucoup appris de Mike. »

Fleming a ensuite roulé sa bosse dans l’ECHL et la Ligue américaine (AHL), trouvant une stabilité peu commune dans ces circuits. Il a dirigé les Everblades de la Floride (ECHL) pendant sept saisons, avant de travailler neuf ans de suite, comme adjoint et comme entraîneur-chef, pour le club-école des Oilers d’Edmonton dans l’AHL.

Notre homme est toutefois marié depuis un an à Mari, originaire d’Estonie, donc les mandats en Europe deviennent nettement plus commodes.

Ses liens avec Montréal demeurent forts. Il a conservé son français – il a d’ailleurs passé d’une langue à l’autre pendant l’entrevue – et connaît pas mal de monde dans l’organisation du Canadien, de Jean-François Houle à Rob Ramage, en passant par Stéphane Robidas et Francis Bouillon, qu’il a dirigés à ses premières années.

La présence de David Reinbacher dans son effectif cette saison ne va que renforcer ces liens.

Qui est Gerry Fleming ?

  • Entraîneur-chef de l’EHC Kloten, originaire de LaSalle, âgé de 57 ans
  • A joué 271 matchs pour les Canadiens de Fredericton (1991-1998) et 11 matchs pour le Canadien de Montréal (1994-1995)
  • Adjoint pour le club-école du Canadien (Fredericton et Québec) de 1998 à 2000
  • Entraîneur-chef dans l’ECHL (Tallahassee et Floride) de 2000 à 2008
  • Entraîneur adjoint et entraîneur-chef (Springfield, Oklahoma City et Bakersfield) dans la Ligue américaine de 2008 à 2018
  • Entraîneur adjoint à Berlin de 2018 à 2021 et entraîneur-chef à Francfort en 2022-2023