« Quelqu’un m’a déjà dit que coacher, c’est : hope for the best, prepare for the worst. »

Espère ce qu’il y a de mieux, prépare-toi au pire. C’est avec cette mentalité que Stéphane Robidas a abordé, l’été dernier, sa toute première saison derrière un banc de la Ligue nationale. Avec le recul, on comprend que le deuxième volet du dicton a été plus utile.

Robidas, entraîneur des défenseurs du Canadien, a en effet dû gérer une saison « historique », pas nécessairement dans le sens positif de l’expression.

En raison de la vague sans précédent de blessures, les recrues à la ligne bleue du CH ont disputé 271 matchs, ce qui donne une moyenne de 3,43 recrues par match.

Selon nos calculs, ces 271 matchs égalent un record dans l’histoire de la LNH, si on exclut les équipes d’expansion qui se tournaient naguère vers la jeunesse. Samedi soir, à Toronto, le CH devrait donc battre la marque des Flames de Calgary de 1996-1997, en envoyant Justin Barron et Johnathan Kovacevic dans la mêlée.

En fait, une seule équipe d’expansion a employé davantage de recrues en défense : les Kings de Los Angeles de 1967-1968.

« Je ne dirais pas que ça me laisse indifférent, mais je ne me concentre pas là-dessus, répond Robidas, en entrevue avec La Presse, lorsqu’informé de la statistique. L’important, c’est de bâtir du solide. Moi-même, j’ai eu la chance de rentrer dans la Ligue nationale à cause des blessures. Pas de blessures, peut-être que je ne rentre pas.

Tu peux le voir négativement, tu peux le voir positivement. Tout ce que les gars ont fait, de l’avantage numérique, du désavantage, jouer contre les gros trios, ça ne s’achète pas. Tu peux en parler, mais le vivre, ce n’est pas pareil.

Stéphane Robidas

Il reste que même si Mike Matheson, David Savard, Joel Edmundson et Chris Wideman étaient restés en santé, le CH aurait forcément employé deux recrues par match, minimum.

Robidas affirme qu’il n’avait pas nécessairement inscrit de hiérarchie à son tableau avant d’amorcer la saison. Mais en l’écoutant, on saisit vite en quoi l’état des forces a changé.

« On savait que Matheson s’en venait, avec Edmundson, Savard et Wideman. Ensuite, tu avais Harris, Barron et Schueneman qui avaient joué quelques matchs en haut. Guhle était un gros prospect, on savait qu’il s’en venait. Kovacevic n’était même pas là. Xhekaj, on savait qu’il s’en venait, mais si tu m’avais dit qu’il allait gagner un poste, j’aurais dit… On ne le pensait pas ! C’est dur, tu planifies des choses, mais ça peut tellement changer avec les performances, les blessures. »

Les défenseurs ne sont évidemment pas les seuls joueurs dont le mandat est d’empêcher l’adversaire de marquer, mais il reste que le Canadien de 2022-2023 aura fini en queue de peloton dans plusieurs indicateurs défensifs, que ce soit la moyenne des buts accordés (3,66, 29e dans la LNH), des tirs accordés (33,6, 28e) ou des chances de marquer accordées à cinq contre cinq (10,96, 31e).

Les blessures qui ouvrent des postes

S’il y en a un qui était bien placé pour comprendre ce qu’ont vécu ces recrues jetées dans la gueule du loup, c’est bien Robidas.

À ses premiers pas dans la LNH, il a profité de blessures subies par les droitiers Patrice Brisebois et Craig Rivet. À leur retour, et avec l’arrivée de Stéphane Quintal en 2001, il tombait « quatrième droitier », précise-t-il.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Stéphane Robidas (56) devant Mario Lemieux (66) en 2001

Puis, à Dallas, il devient un membre permanent de la défense en 2005-2006, mais là aussi, il se retrouve quatrième droitier. Ce n’est qu’en 2008-2009 qu’il décroche un rôle prépondérant, une première de trois saisons de suite avec 24 minutes de moyenne.

« Si Sergei Zubov et Philippe Boucher ne se blessent pas, ma carrière n’est possiblement pas pareille. J’étais numéro 6 ou 7, je suis tombé 1 ou 2 et ça a bien été. »

On a souvent dit de Martin St-Louis que presque tous ses joueurs peuvent se reconnaître dans son parcours. Ce n’est pas nécessairement le cas avec Robidas, mais il y a certainement des joueurs qui peuvent se voir dans leur coach de position. Kovacevic, par exemple, a obtenu sa chance grâce au ballottage, comme Robidas lorsqu’il a quitté le CH.

Matheson et les éclosions tardives

Dans quelques années, il faudra voir s’il y a des ressemblances entre Robidas et Matheson.

Robidas a en effet dû attendre à 31 ans pour être employé au sein d’un premier duo. Une étape que Matheson, 29 ans depuis un mois, franchit cette saison. Il s’est dit beaucoup de choses sur l’expérience gagnée par les défenseurs débutants, mais la production de Matheson dans son rôle de numéro 1 fait partie des surprises de la saison.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE

Mike Matheson

« Je me souviens du premier match hors concours, j’ai fait : ‟Hé tabarouette, lui, c’est un cheval de course !” Il patine en tabarnouche, il tire, il passe. J’ai compris pourquoi c’était un choix de premier tour. Il n’est pas le plus gros, mais il a un bon gabarit, fort physiquement, et il gagne ses batailles dans le coin. Son patin est au-delà, au-delà », dit-il levant sa main bien au-dessus de sa tête.

« Il a une belle glisse fluide, comme Paul Coffey. Mais quand il part et que quelqu’un essaie de lui enlever la rondelle derrière le but, il sort des blocs. Il a du pop, il explose. Tu vois que c’est un athlète. »

L’approche

Robidas affirme s’être seulement senti à son aise dans la LNH à compter de l’âge de « 30, 31, 32 ans. C’est quand j’ai eu un rôle et que j’étais aussi à mon aise que dans le junior et la Ligue américaine. J’étais à ma place, je n’étais plus un imposteur. »

Veut-il que ses jeunes défenseurs gardent cette même insécurité, pour éviter qu’ils baissent la garde, qu’ils se croient « arrivés » ?

Je veux qu’ils soient à leur aise. Une fois qu’un joueur l’est, tu peux vraiment savoir ce que tu as. Des fois, un jeune arrive au camp, il est timide et il ne jouera pas sa game.

Stéphane Robidas

Et ce sentiment de confort passe notamment par les séances individuelles.

« Avec les plus vieux, j’ai passé moins de temps. Des fois, c’est plus une discussion. Qu’est-ce que tu penses de ça, toi ? J’apprends à naviguer. Quand je clippe un match, j’en ai en tabarouette, des clips ! Mais je dois trier ce qui est important et ce qui ne l’est pas. C’est le timing aussi. Si un gars ne feele pas, est-ce que c’est le temps de lui dire que ça, ça et ça, ce n’est pas bon ? Peut-être pas.

« Jacques Lemaire m’a déjà dit que sa philosophie était de coacher comme il aurait aimé être coaché. J’adhère à ça. J’essaie de me mettre dans la peau du joueur. Qu’est-ce que j’aurais aimé ? Ça ne veut pas dire que c’est de ça qu’il a besoin, parce que chaque joueur est différent. Mais c’est de rester dans l’objectif d’aider, pas de rabaisser. »